Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Près de quatre-vingts ans d’intervalle séparent les états tenus à Tours, sous Charles VIII, des états tenus à Orléans, sous Charles IX. Pendant ce silence de la nation, à peine interrompu par les deux assemblées peu importantes de 1506 et de 1557, la face du monde a changé ; la renaissance et la réforme, renouvelant les arts et la pensée, ont clos le moyen âge et ouvert les temps modernes. Avec les états-généraux de 1560, au lendemain de la conjuration d’Amboise, à la veille des massacres de Vassy, commence la période des guerres de religion : le feu intérieur qui depuis trente ans couvait en France éclata d’abord dans les élections générales.

Des opposans, animés d’une sombre énergie, se présentèrent devant les électeurs, et là, avec une audace et une âpreté que le moyen âge n’avait pas connues, dénoncèrent le trouble universel des âmes, l’insurrection des consciences, la profonde corruption des mœurs publiques, « les dix plaies d’Égypte » dont le royaume était accablé. Ces harangues, prononcées sur les places, dans les prévôtés et les « maisons de ville, » résonnaient, dit un historien, comme des coups de tocsin. A Blois, le protestant Jean Bazin, procureur du roi, acclamé par quinze cents électeurs, faillit payer de sa tête ce triomphe oratoire ; une prompte fuite le déroba à la vengeance des Guises. A Angers, un autre protestant, François Grimaudet, avocat du roi, fit au peuple un discours que la Sorbonne censura et que nous possédons : c’est un exposé complet de la situation morale et politique de la France. L’orateur passe en revue tous les ordres de l’état, flagellant d’une main rude les scandales, et comparant à l’effronterie des grands coupables impunis la patience des petits, « qui sont sans macule, » et qu’on opprime. « Qu’est-ce que le tiers-état ? disait-il. Si l’on considère les services rendus, c’est lui qui est tout et qui fait tout. C’est lui qui soutient les guerres ; en temps de paix, il entretient le roy, laboure la terre, fournit de toutes choses nécessaires à la vie de l’homme. Et pour prix de son travail, qu’obtient-il ? D’estre taillé, pressuré, molesté. Le pauvre peuple est comme la brebis qui tend le dos pendant qu’on lui oste la laine : il est tant foullé qu’il en est tout courbe… En regard de ces pauvres gens qui vendent leur vache, leur porc, leur lait pour acquitter les taxes, gabelles et subsides, qui ne mangent que du pain et ne boivent que de ’eau, voyez l’estat des prestres, des abbés, et des moines ! Ils vivent en délices le jour et la nuict ; ils sont lubriques, paillards, simoniaques, vestus de pourfilures et broderies, testonnés, épongés et parfumés, semblables à des amoureux, à des prestres de Vénus et non de Jésus-Christ, traînant après eux