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monde, de faire de la propagande pour ses idées, de dire son mot sur toutes les questions du temps, et je serais presque tenté de voir quelque chose aussi de l’impudence voltairienne dans sa manière si plaisante d’invoquer en toute occasion son fameux Platon. Pas plus qu’aucun autre érudit de son époque, il n’avait jamais lu une seule ligne de l’auteur du Phédon ; mais Aristote était la grande autorité, l’idole des pédans du jour, et le chanoine de Lombez opposait pertinemment au Stagyrite des scolastiques un Platon de son cru, à peu près comme plus tard Arouet, pour narguer les idées reçues, devait imaginer son Chinois de toute perfection...

L’ABBE DOM FELIPE. — Mais Pétrarque n’a jamais été un impie ; il se levait la nuit, pieds nus, pour prier Dieu, et ne rêvait que de bâtir une chapelle à la sainte Vierge.

L’ACADEMICIEN. — Sans doute, monseigneur : c’était un Voltaire croyant, point ricanant, — sa gloire n’en est que plus grande, — non moins vain du reste que Voltaire et avide d’applaudissemens, mais bien autrement poète, lui !

N’était-ce pas un grand poète, je vous le demande, un poète dans la plus haute acception du mot, que celui qui a su donner la consécration suprême de l’art et son expression définitive, absolue, à un vaste et vague ordre d’idées dont il est permis assurément de discuter la valeur morale et esthétique, mais dont il est impossible de nier l’influence puissante et générale pendant près de cinq cents ans ? Car n’oublions pas que ce n’est pas seulement sur l’Italie que l’idéal créé par les Provençaux a étendu son empire : il a traversé les Pyrénées aussi bien que les Alpes ; il a passé la Loire, la Manche et le Rhin ; il a régné souverainement en Espagne et en Portugal, dans la France du nord, en Angleterre et en Allemagne ; ces minnesaenger, dont nous aimons tant à parler sans jamais les lire, ils n’ont été que de simples et de bien gauches imitateurs des troubadours. Du XIIe jusqu’à la fin du XVIe siècle, le monde civilisé n’a connu, célébré et chanté que la galanterie chevaleresque ; il s’en est inspiré non-seulement dans ses productions lyriques, mais dans ses épopées, dans l’Orlando, dans la Gerusalemme. Il n’a fallu rien moins que l’épanouissement merveilleux de la poésie dramatique à partir du XVIIe siècle pour donner enfin aux esprits une direction autre, pour imprimer à l’amour ce caractère profond, passionné et pathétique qu’il a gardé depuis lors. Et peut-être bien n’est-ce que l’absence de cette poésie dramatique en Italie qui a permis aux pétrarchistes d’y prolonger leur règne beaucoup au delà du terme, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et à l’avènement d’Alfieri. Quoi qu’il en soit, et de l’aveu de tout le monde, Pétrarque a revêtu de la magie de l’art cette conception provençale qui, bien des siècles