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flambeaux. Je n’y ai aperçu que des prêtres et des religieuses, très rarement des personnes séculières, et fort peu. Les diables y sont assez souvent en demi-hommes et demi-bêtes, quelquefois seulement en figure d’hommes, et Picard, auprès de qui je me suis toujours rencontrée, me les montroit. Il y a un autel sur lequel les prêtres célèbrent la messe avec le papier de blasphème. Quant à l’hostie qui est employée à la célébration de leur messe, elle ressemble à celle dont on se sert en l’église, sinon qu’elle m’a paru toujours roussâtre, et j’en puis parler, à cause qu’on y communie. On en fait aussi l’élévation, et pour lors j’oyois prononcer des blasphèmes exécrables. Quand on y mange, c’est de la chair humaine qu’on mange, mais cela arrive très rarement. Le jour du jeudi saint j’ai vu faire la cène d’une horrible manière. On apporta un enfant tout rôti ; il fut mangé de l’assemblée, et je ne saurois dire avec une certitude évidente si j’en ai goûté. J’ai dit à mon confesseur qu’il me sembloit qu’oui, et que je cessai aussitôt parce que cette viande étoit fade. Deux hommes, de condition ont paru au sabbat, l’un d’eux fut attaché en croix tout nu, et il eut le corps percé, dont il mourut aussitôt. L’autre fut attaché à un poteau et éventré. »

En vérité, ces citations, si longues soient-elles, ne sont pas inutiles ; elles montrent l’erreur profonde de ceux qui acceptent pour valables toutes les billevesées que Magdeleine Bavent a racontées. Il nous est donc impossible d’éprouver pour elle la compassion que Michelet lui témoigne. Ce qu’elle dit de son emprisonnement, de ses souffrances dans la prison, de ses tentatives de suicide, ce sont évidemment des mensonges, des hallucinations, ou des vérités noyées dans de si énormes faussetés, qu’il serait déraisonnable d’y ajouter la moindre créance. D’ailleurs les divagations de cette malheureuse ont eu des conséquences bien plus graves que l’erreur d’un historien ; elles ont amené la mort d’un innocent.

En 1643, on commence la procédure contre Boullé. Il faut quatre ans pour que la sentence définitive soit rendue (1643-1647). Pendant quatre ans, tout l’appareil de la justice laïque ou ecclésiastique est en mouvement pour démontrer le crime de Boullé. En vain un vaillant homme, Yvelin, chirurgien de la reine, indique par des preuves irréfutables que les possédées de Louviers sont des folles ou des fourbes : il ne peut ébranler la conviction ni de maître Pierre de Langle, pénitencier d’Evreux, ni de l’archevêque, ni des capucins exorcistes, ni des conseillers du parlement de Rouen. Les juges décident que Boullé est un sorcier, comme feu Picard son prédécesseur. Voici, par curiosité, les charges trouvées contre Boullé : 1° il est marqué de la marque des sorciers, reconnue par l’insensibilité à la dite marque ; 2° Magdeleine Bavent l’a vu au sabbat commettant des obscénités et des sacrilèges infâmes ; 3° des diables