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sans avoir rompu charge, ce voyage aventureux, mais extrêmement lucratif. La configuration du sol se prêtait d’une manière merveilleuse à toutes ces manœuvres, et la répression de la contrebande était presque impossible.

« On sait, écrivaient les intendans de la province en 1637, l’intérêt qu’a le roi d’empêcher le faux-saunage. A grands frais, on y a employé jusques ici toute sorte de précautions et de moyens. Tout a été inutile. On peut même dire, dans l’état présent, qu’il est impossible d’y mettre ordre efficacement. La facilité que les faux-sauniers ont de passer à gué les canaux d’Aigues-Mortes et les marais remplis de roseaux et de broussailles, qui leur servent d’entrepôt et de retraite, leur donnent une sûreté à n’être pas découverts, ni même poursuivis dans ces marais. Outre les salins de Peccais, la nature forme des sels dans la petite et la grande Camargue en divers endroits et principalement à l’étang du Vaquarès, qui est un terrain de deux à trois lieues de longueur. Quoiqu’on ait augmenté le nombre des gardes, qu’on ait fait des brigades de gardes à cheval et qu’on se serve des troupes du roy, cependant le faux-saunage augmente plutôt que de diminuer. »

Ce fut sous l’empire exclusif de ces préoccupations que prit naissance le projet d’une communication directe entre les étangs d’Aigues-Mortes et Beaucaire, sur le Rhône. Le dessèchement des marais, qui était la conséquence inévitable de l’ouverture du canal, ne fut dans le principe qu’une question accessoire ; on n’avait en vue aucune opération agricole ; avant tout on cherchait à mettre le pays à découvert afin de faciliter la surveillance des salines, d’empêcher la fraude et d’éviter aux convois de sel les dangers et les lenteurs de la remonte du Rhône entre l’ancienne écluse de Sylvéréal et la ville de Beaucaire.

Les premières études eurent lieu à la fin du XVIe siècle. Henri IV avait conçu le projet, un peu trop grandiose, de dessécher et de mettre en culture tous les marais du royaume. Il ne trouva naturellement personne en France qui consentît à se charger d’une pareille entreprise. Mais les revenus de la couronne étaient tellement intéressés à l’aménagement des marais du bas Rhône, que l’on regardait comme le seul moyen pratique d’arrêter la contrebande du sel, que le roi s’adressa à un étranger, Humphroy Bradley, maître des digues de Berg-op-Zoom, en Brabant, à qui il céda, par un édit en date du 8 avril 1599, la moitié des palus et marais dépendans du domaine, et de ceux qui appartenaient à des propriétaires qui refuseraient de les dessécher eux-mêmes.

La mort de Henri IV entrava tous ces beaux projets ; mais, dès la minorité de Louis XIII, la question fut agitée de nouveau. Le