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renversée en 479, et qui reparaissait après une éclipse de six cents ans. Le Xe siècle avait été fertile en catastrophes ; six dynasties successivement renversées ; des ruines partout, le désordre dans les esprits, les Tartares dans l’empire, le scepticisme religieux et politique à son apogée. La Chine, partagée en plusieurs camps ennemis, était en proie à la guerre civile ; tout était remis en question dans des pamphlets, des libelles et des placards, où l’on prêchait l’anarchie sociale, le nihilisme dans toute sa pureté.

Les nihilistes modernes ne dépasseront pas les Chinois du XIe siècle. Ces Asiatiques ont dit le dernier mot de la théorie ; on ne pourra, dans cet ordre d’idées, que les copier… et encore. Ils en sont arrivés à proclamer qu’il n’y avait rien, ni esprit, ni matière, que l’existence n’était qu’une hallucination fantastique, une fable du néant, un rêve sans objet et sans réveil. On croyait vivre, aimer, souffrir ; il n’en était rien. Non-seulement on l’a affirmé, mais des millions l’ont cru, et ces troupeaux humains se sont rués en tous sens poursuivant leur soi-disant rêve au milieu des ruines dont ils jonchaient le sol.

Que voulaient-ils ? ou plutôt que voulaient leurs chefs ? La destruction de tout ce qui était, plus tard on verrait. Faire table rase, quitte à construire un nouvel édifice social et à s’entre-tuer pour savoir qui l’édifierait et quelles proportions on lui donnerait. Mais, avant tout, niveler. Si l’égalité dans la fortune était impossible, l’égalité dans la misère était chose facile ; si l’on ne pouvait faire les pauvres riches, on pouvait rendre les riches pauvres. Chez tous les peuples, chez toutes les races, ce rêve absurde d’une impraticable égalité a hanté les cerveaux faibles et fourni aux ambitieux sans scrupules un levier puissant pour soulever les masses.

Ils aspiraient au retour impossible à un état de nature chimérique. Ce n’était pas la liquidation sociale que poursuivaient les meneurs, mais la suppression totale, absolue de l’ordre social. En déchaînant les appétits brutaux de la populace, en lui donnant pourpoint de départ et pour justification une théorie philosophique qui substituait le rêve à la réalité, ils se rendaient bien compte que la réalité reprendrait ses droits, mais d’ici-là leur but, espéraient-ils, serait atteint, et il ne resterait plus trace d’institutions, de lois, de coutumes et de gouvernement. Cette réaction violente et brutale provenait d’un état de décomposition tel que ce qui n’existait pas semblait préférable à ce qui était. « La société, disaient-ils, repose sur la loi, et la loi c’est l’injustice et la chicane, — sur la propriété, et la propriété, c’est l’injustice et la concussion, — sur la religion, et la religion n’est que mensonge, — sur la force, et la force n’est que tyrannie. »

Un pareil ébranlement devait fatalement aboutir à une