Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

unique détenteur, il résultait des statistiques qu’il réaliserait chaque année des bénéfices considérables qui devaient être affectés à de grands travaux d’utilité publique.

Après avoir ainsi réglé cette question, la première de toutes pour un empire de trois cent millions d’habitans, Wang-ngan-Ché proclamait que « le plus essentiel des devoirs d’un gouvernement, c’est d’aimer le peuple et de lui procurer les avantages de la vie, qui sont l’abondance et la joie. Pour atteindre ce but, il suffirait d’inspirer à tous les règles invariables de la rectitude, mais, comme il ne serait pas possible d’obtenir de tous l’observation exacte de ces règles, l’état devait, par des lois sages et inflexibles, fixer la manière de les observer[1]. » Suivant lui, l’amour du gain, du luxe, des jouissances matérielles était le principal obstacle à l’observation de ces règles invariables de la rectitude. En supprimant la cause, on devait supprimer l’effet. La cause, c’était la richesse. Les taxes nouvelles en auraient promptement raison ; mais il ne suffisait pas de l’abolir, il fallait l’empêcher de se reconstituer ; or le négoce, la banque, l’industrie, l’usure, la créaient. Wang-ngan-Ché supprima le négoce, la banque, l’usure et l’industrie. L’état en aurait le monopole, et, grâce à ce monopole, réaliserait lui seul tous les bénéfices répartis en des millions de mains. Or, l’état représentant tous les habitans, tous auraient leur part de cette prospérité collective. Nul ne serait riche, mais personne ne serait pauvre ; tous étant égaux, l’envie, la haine, les mauvaises passions, disparaissaient comme par enchantement, et les règles invariables de la rectitude s’imposaient sans effort dans un empire régénéré.

Qui pourrait s’en plaindre ? qui en souffrirait ? Les usuriers, les accapareurs, ceux qui s’enrichissent des malheurs publics et dévorent les travailleurs. N’était-il pas temps de mettre un terme à leurs exactions ? Si, dans ce moment, les provinces du centre souffraient de la disette, qui en était cause ? Les récoltes étaient abondantes dans le nord, mais les capitalistes les accaparaient et faisaient hausser le prix des grains. Ils alléguaient, il est vrai, la difficulté des transports, les risques qu’ils couraient sur le parcours au milieu de populations affamées qui pillaient les convois ; mais si les transports étaient lents et difficiles, cela tenait au mauvais état des routes et des canaux. La taxe imposée sur les riches permettrait de les réparer ; quant aux violences dont on se plaignait de la part des masses qui mouraient de faim, elles cesseraient du jour où les règles invariables de la rectitude seraient comprises et observées.

Ainsi donc l’état souverain, capitaliste unique, seul cultivateur,

  1. Huc, Empire chinois, t. II, p. 74.