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pensées les plus hardies des temps modernes. Ce ne sont pas des chroniqueurs bornés, des clercs fanatiques, ce sont les textes authentiques eux-mêmes qui viennent nous apprendre quels ardens novateurs entouraient le petit-fils de saint Louis, et comment, sous l’apparence du zèle le plus pur pour la royauté, ces âpres légistes agitaient en réalité les idées les plus révolutionnaires.

Déjà plusieurs fois, cette grande collection de dépêches, de mémoires, de pièces de toutes sortes a été consultée. Dans les ardentes luttes gallicanes de la première moitié du XVIIe siècle, les Pithou, les Vigor, les Dupuy y cherchèrent des armes pour leur guerre contre l’ultramontanisme ; Baluze y fit des emprunts pour ses compilations historiques; mais l’étude de ces documens n’est pas chose facile. La lecture en est pénible; la date de chaque pièce demande des attentions particulières que n’eurent pas les premiers éditeurs. C’est ce qui fait qu’un jeune érudit enlevé prématurément à ses confrères de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a pu faire une véritable moisson dans un champ qui paraissait épuisé. On a déjà parlé ici des plus importantes publications de M. Boutaric[1]. Un écrit qu’il nous reste à faire connaître est celui que ce laborieux critique a consacré aux rapports de Philippe le Bel et de Clément V. Telle fut la vivacité des débats qui remplirent le règne de Philippe que, jusqu’à notre temps, l’impartialité en ce qui le concerne a été difficile pour les historiens. Croirait-on que Dupuy, en 1655, Baluze, en 1693, ont cédé, dans leurs recueils, à la passion la plus évidente, admettant des pièces apocryphes qui avaient servi d’argument momentané contre Boniface VIII, supprimant au contraire certaines pièces où Clément V se montre à son avantage et qui démasquent la fourberie du roi? M. Boutaric a corrigé presque toutes ces fautes. A-t-il évité lui-même les causes d’erreurs qui ont tant de fois, en ces délicates matières, fait gauchir le jugement des historiens? Nous n’oserions l’affirmer. Écrivant dans un recueil qui a pour objet avoué l’apologie du catholicisme, et voulant à tout prix laver Clément V des reproches qu’en général les historiens lui ont adressés, il accorde peut-être trop libéralement à ce pontife les qualités qu’on lui refusait jusqu’ici d’une manière trop absolue. Mais son travail, presque tout entier composé de pièces originales, fournit les moyens de rectifier les conséquences exagérées qu’il cherche à tirer de certains textes. Le père Theiner, de son côté, en publiant tous les documens politiques du règne de Clément[2], a mis la critique en état de rectifier bien des jugemens erronés sur le prétendu abaissement où était alors la

  1. Voyez la Revue des 15 février, 1er mars 1871; 15 mars, 1er avril, 15 avril 1872.
  2. Codex diplomaticus dominii temporalis sanctœ sedis, t. I, Rome, 1861.