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On ne s’irrite pas tant de la supériorité issue de la différence des places ou des talens que de celle qu’on veut faire sortir d’une différence dans la nature même et dans le sang. Cette distinction qu’on veut établir, comme d’espèce à espèce, voilà, je crois, ce qui paraît insupportable. »

Le conflit avec les intérêts de la société née de la révolution était déjà né.


II.

Ce fut dans les premiers mois de la restauration que Montlosier publia le plus célèbre de ses livres, la Monarchie française depuis son origine jusqu’à nos jours. L’empereur, qui le lui avait commandé, lorsqu’il constituait son pouvoir et une noblesse militaire, s’était fait, à diverses reprises, rendre compte de cet important travail. Quand l’ouvrage fut terminé, une copie lui fut adressée pour décider de l’impression. Après plusieurs mois d’attente, la copie ne fut pas rendue et sans doute ne put même pas être lue.

Ce livre devait faire connaître l’ancien état de la France et de ses institutions, la manière dont la révolution était sortie de cet ensemble de choses et les moyens employés par Bonaparte pour clore avec succès la période révolutionnaire.

Dès sa jeunesse, Montlosier s’était occupé des origines nationales. Il avait sur cette matière accumulé de nombreux matériaux. Destiné d’abord à se renfermer en deux volumes, l’ouvrage s’accrut successivement, et les événemens contemporains de 1815 à 1822 inspirèrent à la verve de Montlosier plus de pages que la race franque et la féodalité. Peu de curieux lisent aujourd’hui les sept volumes réunis sous un même titre. Nous avons dû les consulter. De la première et de la seconde partie, qui traitent de notre ancien état social avant 1789, nous n’avons que peu de mots à dire. Le même sujet a été traité avec une largeur, une méthode et un sens critique de premier ordre dans l’Histoire de la civilisation en France. Toutes ces qualités supérieures manquent à Montlosier. Il a du savoir, une forte imagination ; mais est-ce suffisant pour donner la vie à une œuvre et pour classer son auteur au nombre des historiens ?

Montlosier n’était du reste que le continuateur des idées de Boulainvilliers. On sait par quelle variété de systèmes les érudits ont essayé d’expliquer les origines de la société française. Pour l’abbé Dubos, c’est la royauté qui joua le premier rôle. Les rois germains n’auraient fait qu’hériter des droits des empereurs romains. D’après l’abbé de Mably, ce sont les institutions libres qui ont été la vraie source. D’après M. de Boulainvilliers, nous devons à l’organisation aristocratique les fondemens du monde moderne.