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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/162

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Montlosier le poussait à la bataille contre les développemens de l’esprit démocratique. Dans une lettre du 20 mars 1820, au moment de la rupture des doctrinaires et de M. de Serre, il lui exprimait, à propos de la loi électorale, ses mêmes idées de reconstitution sociale. Il lui proposait, quelques mois plus tard, la révision des titres nobiliaires dans toutes les provinces par des commissaires, un règlement nouveau des droits de préséance dans les cérémonies publiques ; et il offrait sa coopération :

« Jamais, ajoutait-il (15 février 1822), la France ne sera tranquille jusqu’à ce que vous ayez arrangé la famille, la maison, la propriété, le domaine, comme ils doivent l’être. La révolution a détruit tout cela de fond en comble, et le gouvernement qui croit opérer sur quelque chose de réel, opère sur des masures. Les corporations viennent ensuite avec les municipalités. La nation ayant été bouleversée de fond en comble, c’est de fond en comble que vous devrez chercher à la relever. Mais pas du tout, c’est du comble et non pas du fond que je vois tout le monde s’occuper. »

A tous ces rêves de réorganisation M. de Serre répondait qu’on ne fait pas un peuple, et qu’on ne le défait pas. Sa tâche à lui était tout autre, mais non moins difficile. Il voulait élever pour des siècles, en ce pays, un gouvernement libre, et il demandait au temps son secours, sachant bien, pour employer son admirable langage, que le temps, jaloux, ne prend définitivement sous sa garde que ce qu’il lui-même fondé.


III.

M. Guizot a écrit que, depuis treize siècles, la France contenait deux peuples, un peuple vainqueur et un peuple vaincu.

L’histoire de leur lutte était notre histoire. La révolution avait livré et gagné la bataille décisive. Il lui fallait son gouvernement.

La facilité avec laquelle s’était opéré le retour de l’empereur le 20 mars avait décrié la première restauration. D’un autre côté, les hommes d’état avaient été frappés, durant les cent jours, du réveil des sentimens et de l’esprit de la révolution.

C’était à ce peuple, divisé, méfiant, ne voyant dans les garanties de justice et de liberté que des armes à employer pour se défendre contre l’ancien régime, que la charte venait d’être donnée. Le sol politique si longtemps le domaine du privilège, avait été conquis par l’égalité, non moins irrévocablement que le sol gaulois l’avait été autrement par le peuple franc.

« Le privilège était descendu au tombeau. Aucun effort humain ne pouvait l’en faire sortir; la révolution n’avait laissé debout que les individus. Son œuvre avait été consommée par l’empire. Nous