Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolution; mais la charte avait placé la France dans une situation autre qu’en 89. On ne demandait pas les électeurs à la nation entière ; on ne les demandait qu’à des citoyens réunissant des conditions déterminées. Ce fut dans la classe moyenne que le corps électoral chercha sa représentation naturelle, la présomption de capacité ayant été attachée à une certaine contribution.

Les théoriciens firent reposer la base de cette présomption de capacité dans la distinction entre la représentation des personnes et celle des intérêts. Deux élémens existaient dans la société; l’un, matériel, était l’individu; l’autre, moral, était le droit résultant des intérêts légitimes. Avec le premier, c’était la majorité des individus qui était le souverain ; avec le second, c’était la représentation des intérêts. La capacité d’élire les députés résultait du fait que l’électeur possédait les intérêts généraux. La capacité n’était pas le droit, qui était antérieur, mais elle était la condition sous laquelle s’exerçait le droit.

Tels étaient, dans leur forme philosophique et abstraite, les principes que l’orateur le plus autorisé opposait à la doctrine de la souveraineté du peuple.

Ces idées furent adoptées par la majorité de la classe moyenne. C’est par l’élection à la chambre des députés qu’elle intervenait régulièrement dans les affaires publiques et qu’elle y faisait sentir son influence. On peut juger alors de l’importance que prirent les discussions sur la loi électorale et la septennalité.

Un point fondamental créa un dissentiment absolu entre les royalistes libéraux et la phalange des doctrinaires. Toute attaque à l’égalité des électeurs portait un cachet de contre-révolution qui détruisait l’effet et le crédit des améliorations constitutionnelles. Le classement des électeurs en deux parties, dont l’une avec le privilège du double vote, ne pouvait que perpétuer l’exaspération de la bourgeoisie.

Montlosier crut naïvement que ses projets auraient pu opposer une digue aux doctrines libérales. Il eût échoué comme les ultras de 1815. Mais il vit juste quand il annonça que, les prétentions des royalistes ardens et qui entouraient le roi se heurtant contre l’influence des classes moyennes, une autre révolution était inévitable si une transaction n’intervenait pas. Le moindre conflit entre la couronne et l’opinion prenait les proportions d’un changement de régime. La démocratie en montant minait sourdement l’édifice, jusqu’à ce qu’un jour vint où, comme la mer, elle passa au-dessus.