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dont il est dévoré, de son désir de dominer, de s’imposer, de conquérir partout les premières places et de reléguer dans les emplois humbles les chrétiens, qu’il fera servir à son bien-être. Le rêve des juifs, s’écrient d’un commun accord les pamphlétaires qui les ont pris à partie, est de former une aristocratie intellectuelle et financière, dominant le monde par la science comme par l’argent, et gouvernant l’opinion publique par la presse, qu’ils ont déjà attirée presque tout entière dans leur dépendance et dont ils disposent à leur gré. L’un de ces pamphlétaires, qu’anime l’esprit prophétique, nous assure qu’avant que dix ans se soient écoulés, tous les directeurs de journaux appartiendront à la race des circoncis et que tous les gratte-papier incirconcis seront à leur solde. Cette assertion nous semble un peu exagérée ; mais s’il était vrai que tous les journaux sans exception fussent condamnés à tomber fatalement et à bref délai dans les mains des juifs, s’il était certain qu’avant peu ces gens qui ne fabriquent ni voitures, ni machines, ni charrues, seront les souverains fabricateurs de l’opinion publique, il nous semble que MM. Stöcker et de Treitschke devraient s’en prendre aux chrétiens. — Vous voulez acheter ma conscience et ma plume, s’écriait avec indignation un journaliste à qui un ministre adressait certaines propositions qui ne se font jamais qu’à huis clos. — C’est bien mon idée, répondit le ministre, mais voyez toute l’estime que je fais de vous, votre prix sera le mien ; combien vous faut-il ? — On assure que le journaliste sauva son honneur en demandant beaucoup. Les prédicateurs de la cour et les teutomanes, qui reprochent aux juifs de vouloir acheter l’Allemagne, feraient bien de rentrer en eux-mêmes et de se dire qu’on n’achète que ce qui est à vendre.

Oui, nous en convenons, disent les teutomanes, l’Allemagne est malade, mais à qui la faute ? Depuis de longues années les juifs s’appliquent à la corrompre ; le poison est entré dans le sang, le fatal virus commence à produire ses effets, les vertus germaniques sont en péril, hâtons-nous de sauver ce qu’il en reste. L’Allemand, disent-ils encore, aussi longtemps qu’il demeure fidèle à sa nature et à toutes les traditions de sa vie nationale, est de tout point le contraire du juif. L’Allemand se distingue entre tous les peuples par l’énergie du sens moral ; sa conscience est le guide unique de sa conduite, la souveraine maîtresse de sa vie, elle l’accompagne dans son travail comme dans ses plaisirs ; à toutes les fortes vertus il joint une sorte d’idéalisme natif qui le porte à mettre un peu de son âme dans tout ce qu’il fait, qui lui apprend à dédaigner le monde réel, à oublier ses peines et ses soucis en se cherchant un refuge dans ces régions éthérées où ses pensées aiment à établir leur demeure. Est-ce une méprise ? est-ce une illusion ? il nous semble avoir lu dans quelque pamphlet de teutomane qu’un vrai cordonnier allemand, quand il fabrique une paire de souliers, y met non-seulement sa conscience, mais un peu de son âme et même un peu de poésie.