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seuls ont su se servir de M. de Bismarck, et ils ont donné par là toute la mesure de leur habileté ; mais ils ont fini par exciter l’envie. Comme le proscrit romain, ils peuvent s’écrier : « Ma maison d’Albe m’a perdu ! »

Les habiles de ce monde, quand ils sont trop heureux, quand tout leur sourit et qu’ils croient pouvoir compter sur l’amitié des vents et des étoiles, se laissent presque toujours aller à commettre quelque maladresse. Les juifs allemands, ils doivent en convenir, ont pris une part trop active au Culturkampf, qui, à proprement parler, ne les regardait pas, et à l’ordinaire les hommes se trouvent mal de s’être mêlés de ce qui ne les regardait point. Parmi les disciples de Moïse, il y a aujourd’hui moins de fanatiques du Talmud que de sceptiques, mais on est quelquefois fanatique de ses doutes. Lorsque le chancelier de l’empire déclara la guerre à l’église et proposa au parlement prussien une série de mesures, dont quelques-unes étaient de nature, non-seulement à chagriner Rome, mais à inquiéter les orthodoxes protestans, les juifs n’ont pas assez dissimulé la joie que leur causait cette campagne ; ils l’ont approuvée et soutenue avec trop d’ardeur, ils ont laissé percer trop visiblement leurs haines et les espérances qu’ils caressaient, ils ont tout fait pour brouiller de plus en plus les cartes et pour que les choses fussent poussées à outrance. Les protestations des catholiques les mettaient en gaîté, ils répondaient par des sarcasmes aux doléances des vieux luthériens, car Luther leur plaît aussi peu que le Vatican, et ils étaient charmés de renvoyer les deux plaignans dos à dos. Le jour où M. de Bismarck a jugé que c’en était assez, qu’il lui convenait de modérer la lutte et les passions qu’elle excitait, une réaction s’est produite, et elle s’est faite contre les juifs. M. Stöcker a pu se croire en droit de leur dire : « Vous vous mêlez beaucoup de nos affaires, permettez-nous de nous mêler un peu des vôtres. » Il a ajouté : « Vos journalistes et vos orateurs aspirent à nous détruire et à plonger notre peuple dans l’abîme du nihilisme ; je vois le doigt de Satan marqué sur votre front. » M. Stocker croit à Satan de tout son cœur, il le connaît, il l’a vu, il lui a parlé, et il le fait volontiers intervenir quand il juge ses ennemis ; mais il faut lui accorder que les juifs avaient péché par une intempérance regrettable de langue et de plume. On est toujours plus ou moins le complice de sa destinée.

Après tout, ce qui peut les rassurer sur l’avenir, c’est que leurs adversaires les plus fougueux, les plus prodigues d’invectives, les plus abondans en insinuations malveillantes et en injures, se trouvent fort embarrassés quand il s’agit de conclure. Ils attestent le ciel que le cas est grave et pressant, que la maladie est mortelle, mais ils ne savent trop quel remède indiquer pour la combattre. Tel de ces pamphlétaires termine son libelle par de vraies lamentations de Jérémie. Sincère ou non, il affirme que c’en est fait, que les destins ont prononcé, que