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et dont les sages avis, un peu mieux écoutés, auraient épargné à l’Europe bien des malheurs, si l’Europe avait distingué ses véritables intérêts, il se rattachait intellectuellement à l’école historique moderne, à celle qui a produit en France tant de bons livres non oubliés. Dans un ouvrage destiné à entretenir au fond des cœurs le respect des traditions et l’amour du pays, il a su donner, suivant une très habile mesure, les proportions nécessaires au récif des événemens politiques d’une part, mais aussi au développement de la civilisation générale par le progrès des institutions et des mœurs.

Le petit royaume dont il entreprenait de raconter les annales est entré sur la scène historique, aux premiers temps du moyen âge, par un redoutable développement d’invasions et de colonisations violentes. C’est toute une épopée que le récit de son passé païen, avec l’Edda pour livre religieux et les runes pour écriture. M. Allen a retracé ce tableau avec de vives couleurs que lui ont offertes les recherches nouvelles. On n’a qu’à parcourir le précieux recueil des mémoires de la Société des Antiquaires du nord pour se convaincre de l’intense travail par lequel les érudits Scandinaves ont, depuis trente ans, accumulé les recherches archéologiques; peu à peu, grâce aux découvertes successives, l’histoire de leur plus lointain passé s’est transformée. Il n’en a pas été autrement pour les siècles ultérieurs. Les chroniques ont été révisées, publiées à nouveau selon toutes les règles de critique requises par l’érudition moderne, et les monographies sur les divers points de l’historiographie danoise se sont multipliées. Ce sont les résultats de tout ce travail minutieux et patient que M. Allen a enregistrés, et il a pu donner de la sorte un livre vraiment au courant de la science en même temps que facile à lire et clairement écrit.

Le petit Danemark a offert pendant ce dernier demi-siècle un bel exemple. D’une part il luttait pour sa nationalité contre l’Allemagne et jetait un cri d’alarme que d’autres eussent été non moins intéressés que lui à ne pas laisser se perdre dans les airs. Mais en même temps il ne perdait pas de vue, quoique dans une si cruelle étreinte, les intérêts intellectuels, ceux de la science et de l’érudition. Le même M. Madvig acceptait d’être premier ministre, et reprenait au lendemain de son ministère ses belles études sur la langue latine et sur Tite Live. Là est née, avec le regretté Thomsen et avec l’ingénieux M. Worsaæ, la science des âges préhistoriques : cette science a fait depuis une brillante fortune, mais nulle part elle n’a rencontré pour la servir des musées comparables à ceux de Copenhague. Le Danemark a eu dans ces dernières années des érudits et des philologues qui ne le cèdent pas à ceux de l’Allemagne. Le livre de M. Allen, en même temps qu’il profitait de leurs travaux, n’a pas oublié de raconter leurs efforts, et servira très utilement à leur faire rendre justice.


A. G.


Le directeur-Gérant, C. BULOZ.