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travaux artistiques et industriels de l’Exposition, ils sentiraient mieux la solidarité qui les lie ; les vieux levains de discorde internationale s’apaiseraient et les jalousies feraient place aux salutaires efforts d’une fraternelle émulation. » Tout le programme de l’Internationale est résumé dans ces lignes; mais les industriels ne prévoyaient guère la façon dont il allait être mis à exécution. Napoléon III se montra très favorable à l’envoi des délégués à Londres. Il permit qu’ils fussent élus au suffrage universel, dans chaque corps de métier, et naturellement on choisit ceux qui parlaient le mieux des droits du travail. D’après les ordres de l’empereur, on facilita leur voyage de toutes les manières. Napoléon III rêvait encore alors de s’appuyer, pour fonder l’empire, sur les ouvriers et les paysans, et de tenir tête ainsi à la bourgeoisie libérale.

A Londres, les ouvriers anglais firent à « leurs frères de France » le plus cordial accueil. Le 5 août ils organisèrent une fête « de fraternisation internationale » au Free Mason’s Tavern. Les discours ne furent point violens. Pour les questions de salaire, y disait-on, les ouvriers doivent s’unir; mais, pour diminuer les difficultés, ils doivent aussi s’entendre avec leurs patrons. A mesure que les machines se perfectionneront, il faudra moins de travail humain : le salaire sera-t-il donc réduit en proportion? Comment assurer au travailleur une rémunération suffisante? difficile question. Pour la résoudre, ce n’est pas trop des recherches des historiens, des philosophes, des hommes d’état, des maîtres et des ouvriers de tous les pays. Comme conclusion on proposa de créer des comités de travailleurs « pour l’échange de correspondances sur les questions d’industrie internationale. » L’idée d’une association universelle apparaît ici en germe. Elle se réalisa deux ans après.

Le 28 septembre 1864 eut lieu, à Saint-Martin’s Hall, un grand meeting « d’ouvriers de toutes les nations. » Le professeur Beesly présidait. M. Tolain parlait au nom de la France. Karl Marx était le véritable inspirateur de la réunion ; le secrétaire de Mazzini, le major Wolff, y assistait également; c’est ce qui a fait dire que Mazzini était le fondateur de l’Internationale. Mais loin de là, il n’y est entré qu’avec défiance et en est bientôt sorti. Le meeting nomma un comité provisoire chargé de rédiger les statuts de l’association, qui devaient être soumis au congrès universel qu’on espérait réunir à Bruxelles l’année suivante. Dans ce comité se trouvaient représentées l’Angleterre, la France, l’Italie, la Pologne, la Suisse et l’Allemagne. Plus tard des délégués d’autres pays furent admis. Il y en eut cinquante en tout. Ils ne prenaient en aucune façon les allures d’une société secrète. Au contraire, c’est par la publicité qu’ils voulaient exercer leur propagande. Leur siège était au n° 18 de Greek street, Soho. Les statuts qu’ils élaborèrent