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les idées de Marx, qui dirigeait en réalité le conseil général. Rien de plus naturel ; il était infiniment supérieur à ses collègues par ses connaissances et par son esprit pratique. Mais sa dictature ne pouvait manquer de soulever une opposition haineuse dans ces nombreux groupes appartenant à différentes nationalités et obéissant à des courans d’idées très opposés. Le signal de la révolte partit de Neuchâtel. Quelques sections des ouvriers du Locle et de la Chaux-de-Fonds, sous la direction d’un chef actif, James Guillaume, s’élevèrent contre l’autorité excessive que s’arrogeait le conseil général et, se séparant des autres groupes de la Suisse romande, constituèrent la fédération du Jura; on les désigna sous le nom de « fédéralistes » ou « d’autonomistes.» Les « blanquistes,» représentant la tradition jacobine, s’élevaient aussi très vivement contre la théorie de « l’évolution historique » du « juif allemand. » Enfin les plus ardens dans leur opposition étaient les « anarchistes n qui suivaient Bakounine. Au congrès de la Ligne de la Paix, réuni à Lausanne sous la présidence de Victor Hugo en 1869, Bakounine avait proposé de voter l’athéisme et le communisme. Battu à une grande majorité, il avait fondé alors l’Alliance de la démocratie socialiste. D’autre part, le conseil général interdit aux sections de l’Internationale de prendre un nom particulier et se réserva le droit de suspendre ou de dissoudre celles qui n’obtempéreraient pas à cette défense.

Le congrès de La Haye (du 2 au 7 septembre 1872) fut le champ de bataille où se choquèrent ces tendances opposées. On y compta soixante-cinq délégués représentant, quatre la Hollande, huit la Belgique, deux le Danemark, huit l’Allemagne, sept la Suisse, onze la France, quatre l’Espagne, six l’Amérique, dix l’Angleterre, un le Portugal, un l’Irlande, un la Hongrie, un l’Australie. Le combat s’engagea à propos des pouvoirs du conseil général, que les autonomistes voulaient réduire à n’être plus qu’un bureau de renseignemens. Guillaume attaqua Marx en face. « Il y en a, dit-il, qui prétendent que l’Internationale est l’invention d’un homme habile, doué de l’infaillibilité en matière sociale et politique, contre qui nul n’a droit d’opposition. Notre association n’aurait ainsi qu’à obéir à l’autorité despotique d’un conseil institué pour maintenir cette orthodoxie nouvelle. D’après nous, l’Internationale est née spontanément des circonstances économiques actuelles, et nous ne voulons pas d’un chef qui juge des hérésies. « La majorité était acquise à Marx. Aussi, loin de supprimer le conseil général, elle lui accorda le droit de suspendre des sections et même des fédérations, sauf appel au congrès. Cette décision souleva les plus vives protestations. Les blanquistes, entre autres Ranvier, Cournet et Vaillant, quittèrent le congrès. Vint ensuite l’examen du cas de Bakounine et de Guillaume. Tous deux furent déclarés exclus comme convaincus