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avec ses égaux, affable pour ses inférieurs, doux avec tous dans le commerce de la vie. Aussi fallait-il le bien connaître pour savoir ce que cette invariable urbanité dans les manières et cette apparente tranquillité d’humeur cachaient au fond d’agitations morales et, trop souvent, de poignans chagrins. A voir Hesse si peu renfrogné, si souriant même lorsqu’on l’abordait ou qu’on était rencontré par lui, à l’entendre causer de toutes choses sans appuyer sur rien, sans aller au-delà de rapides aperçus présentés au hasard du moment, avec ce mélange de bonhomie et de finesse un peu railleuse qui donnait une grâce singulière à sa parole, se serait-on douté qu’on eût affaire à un mélancolique?

Et cependant, même bien avant l’époque des dernières tristesses, Hesse n’était rien moins que porté à prendre lestement son parti de ses déceptions en présence des faits ou de ses incertitudes devant les grands problèmes. « Vous me demandez, écrivait-il en 1862, s’il faut regarder la mort en face pour moins la craindre et pour s’habituer à l’idée de quitter ses amis pleins de vie et de santé. Je vous ferai remarquer d’abord que ce doit être une consolation pour nous de les laisser pleins de vie plutôt que malades ou mourans... Quant à savoir sous quel aspect, de quel côté il convient d’envisager ce « chameau noir » incessamment agenouillé à notre porte, je crois que, vu de profil ou de face, longtemps à l’avance ou le plus tard possible, au dernier moment sa venue est toujours chose grave. On prétend que la jeunesse est plus brave que nous en cette circonstance ; l’avez-vous remarqué? Si cela est vrai, ne serait-ce pas que, se sentant moins coupable que l’âge mûr, elle ne redoute pas autant que lui ce qui nous attend au-delà de l’ultimo passo? Ou bien comprend-elle qu’il vaut mieux sortir de la vie quand les illusions illuminent encore nos premiers sentimens que plus tard, quand l’espérance elle-même nous a abandonnés?.. D’ailleurs, le peintre en général (et votre ami en particulier) n’est pas toujours bien certain de ce qu’il pense sur d’aussi grandes questions. Il éprouve, il sent, voilà son rôle. Il est sceptique comme un vieillard et crédule comme un enfant. Il souffre, il sourit, il pleure, il aime (quand il aime), et surtout il déraisonne. Le mot célèbre : «L’homme s’agite, et Dieu le mène » semble avoir été dit exprès pour lui. Voilà pourquoi cet être complexe est souvent intéressant ou curieux à étudier dans sa jeunesse. Plus tard, oh ! plus tard, pour l’artiste comme pour tout le monde, c’est le lendemain d’un jour de fête : les lustres sont éteints, les fleurs sont fanées, le silence s’est fait partout...»

Et une autre fois :

« Je vois que votre grave accident vous a fait penser à la Danse