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allemand, il ne cessa de déjouer ses plans et de rompre ses trames. On dut à ses efforts, pendant toute l’année 1791, la tranquillité relative dont jouit l’Alsace : ses démarches, son influence, son exemple contribuèrent à retenir dans le devoir les officiers indécis de la garnison ; ses relations au dehors lui permirent de faire avorter les combinaisons des Autrichiens.

Mis au courant des projets des Allemands et des menées de l’émigration par les membres de sa famille qui résidaient hors de France et surtout par le chancelier Ochs, de Bâle, son beau-frère, averti par des agens zélés qu’il entretenait à Kehl, à Wissembourg, à Porrentruy, opposant la ruse à la ruse, l’intrigue à l’intrigue, exagérant sa force pour intimider les complots, surexcitant le patriotisme par des fêtes, des discours, des congrès fédératifs, Diétrich réussit pendant près de deux ans à défendre sans armée la frontière du Rhin[1].

La situation de Bâle en faisait le rendez-vous des émissaires qui colportaient de Coblentz à Turin, par l’Allemagne, la Suisse, la Savoie, le mot d’ordre de la contre-révolution.


Bâle est rempli d’étrangers, écrivait Ochs à Diétrich : Italiens, Parisiens, Francs-Comtois, Alsaciens, Épiscopaux. Les triumvirs de cette bande sont le vicomte de Mirabeau, le comte Montjoie de Veaufray et le comte d’AllamanrL Ils forment un des anneaux de la grande chaîne que Condé tend autour de la France. Il y a quelquefois aux Trois Rois, à table d’hôte, jusqu’à quarante émigrés; leurs propos font frémir: il y a même danger à y dîner.


Le prince-évêque de Bâle, installé à Porrentruy, s’était mis d’accord avec l’empereur d’Autriche pour autoriser l’occupation de ses états par les troupes allemandes; il avait entraîné Berne, Soleure, Lucerne, et sollicitait les magistrats bâlois d’ouvrir leurs portes à son allié. Il n’était question que d’un petit détachement de quatre compagnies pour servir de garnison à Porrentruy. Ce point domine la vallée d’Alsace d’un côté, les routes du Jura de l’autre ; on comptait en faire pour les émigrés une étape entre Lyon et Bâle; en cas de guerre, les quatre compagnies rapidement, accrues prenaient à revers la frontière française et préparaient à l’invasion un formidable point d’attaque qui suppléait à la possession de Strasbourg. Le grand-conseil était divisé d’opinions ; Ochs pesa dans le débat et le passage fut refusé[2]. Ce refus est l’un des échecs les plus

  1. Le rôle patriotique de Diétrich est établi par les débats du procès criminel qui lui coûta la vie (Moniteur de 1792, XIX, 84) et par les documens publiés par M. Louis Spach, en 1857, sous ce titre : Frédéric de Diétrich.
  2. Lettres du chancelier Ochs, des 6, 9, 12 et 18 février 1791.