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créée. La sincérité de son langage condamnait une œuvre malheureuse ; M. Dufaure, avec son autorité et sa forte éloquence, a fait le reste, et le dernier mot de ce drame parlementaire a été dit au scrutin du 9 mars par un vote qui a péremptoirement rejeté l’article 7. La majorité a même dépassé les prévisions, elle a été de dix-neuf voix. Le nombre des votans opposés à l’article tant débattu a été de cent quarante-neuf, et dans ce nombre comptent à peu près trente républicains libéraux. C’est là le fait !

Prévu ou imprévu d’ailleurs, ce vote du sénat qui a couronné une longue discussion est simple et clair ; il a son caractère précis et ses limites. En réalité, qu’on n’exagère rien, ce n’est pas la loi tout entière qui a été rejetée ; ce qu’il y avait d’essentiel et d’acceptable dans les projeis de M. Jules Ferry n’a point disparu. L’état notamment rentre en possession du droit de conférer les grades. D’autres dispositions plus ou moins heureuses, proposées par M. le ministre de l’instruction publique, corrigées ou étendues par la commission sénatoriale, ont été adoptées. Le seul vaincu, bien réellement vaincu dans ce grand débat, a été l’article 7, et il a été vaincu parce que, sous prétexte de défendre l’indépendance de la société civile, en affectant de n’atteindre que quelques congrégations dites non autorisées, en mêlant une question d’association à une question d’instruction publique, il confondait tout. Il a été vaincu parce que la lutte s’est trouvée engagée non pas dans l’intérêt de la compagnie de Jésus, non pas entre quelques ordres religieux et l’état, mais entre toutes les traditions libérales et une pensée de réaction ou de représaille politique introduite sans prévoyance, par passion de parti, dans l’enseignement. Il ne s’agit nullement de défendre les jésuites dans leur institution, dans leurs opinions, dans leurs ouvrages, dans leur enseignement. M. le ministre de l’instruction publique s’est fait un rôle trop facile en allant chercher quelques livres qui ne sont même pas toujours l’œuvre des jésuites, en amusant le sénat comme il avait déjà amusé la chambre des députés avec quelques citations plus ou moins habilement choisies. Si les opinions des jésuites sur le serment du jeu de paume, sur la nuit du 4 août, si les théories d’ancien régime déguisées sous un voile religieux avaient été seules en cause, elles auraient pu créer un certain embarras, et il n’aurait peut-être pas fallu beaucoup de discours comme celui de M. Lucien Brun, quel qu’ait été le talent de l’orateur, pour changer la fortune de la dernière discussion. La vérité est qu’il s’agissait avant tout de savoir si on pouvait aujourd’hui introduire dans une loi une disposition de colère abrogeant une liberté de trente ans, ressuscitant les mesures d’exception, inquiétant des consciences sincères, enlevant une garantie de droit commun à uns classe de Français traités désormais en suspects, en outlaws. Il s’agissait avant tout d’une question de droit commun, de