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de réussir, une inépuisable confiance, et quelques lettres de recommandation pour les puissans du jour. Une de ces lettres leur avait été donnée, je crois, par un homme estimé à Aix. le docteur Arnaud, le père de l’aimable auteur de gracieux romans, Mme Ch. Reybaud. Ils se trouvaient ainsi accrédités auprès de leur compatriote Manuel, le tribun le plus populaire du moment, et par Manuel ils étaient introduits dans ce monde libéral qui grandissait par les encouragemens de l’opinion, par la lutte de tous les jours, quelquefois même par des défaites apparentes. Ils entraient dans cette société vivante et active de l’opposition du temps représentée par ses journaux et par ses salons. M. Mignet avait été admis presque aussitôt au Courrier français, auprès de Châtelain, de Benjamin Constant, de Kératry; M. Thiers, de son côté, était accueilli au Constitutionnel par M. Etienne. Les deux amis marchaient du même pas. Ce qu’ils avaient fait dans leur vie d’étude à Aix, ils ne cessaient de le faire dans leurs petites chambres du passage Montesquieu : ils travaillaient en commun, ils échangeaient leurs idées, ils se préparaient ensemble à de nouveaux efforts. Tout semblait leur sourire, et tandis que M. Mignet écrivait sur la politique extérieure de façon à exciter l’attention de M. de Talleyrand, ou professait à l’Athénée avec une séduisante gravité, avec une savante et ingénieuse précision, sur l’histoire de la ré formation, M. Thiers portait dans le journal le plus populaire du temps le feu de son esprit, je ne sais quel accent nouveau et inattendu fait pour relever le ton un peu banal de ces polémiques d’un libéralisme bourgeois, impérialiste et classique.

Une fois introduit dans ce monde de la politique et des lettres, M. Thiers se montrait prêt à tout. Rien ne lui semblait étranger. Tantôt, à propos d’une brochure de M. de Montlosier, la Monarchie française au 1er mars 1822, il prodiguait les aperçus fins et hardis, essayant déjà ses idées sur l’histoire de la révolution, vengeant le monde de 1789 des dédains et des passions d’ancien régime, faisant d’une simple critique d’un livre une sorte de manifeste ardent de la société nouvelle. Tantôt il se tournait vers les arts, et donnait au Constitutionnel un compte-rendu du Salon de 1822. Il écrivait peut-être un peu légèrement, en critique un peu inexpérimenté des traditions de l’art, des grandes écoles de la peinture, mais avec un instinct juste, un goût très vif et une verve naturelle qui se plaisait à saluer tour à tour la mémoire du jeune Drouais, « dévoré de ses feux et ravi avant l’âge, » ou la renommée naissante d’Horace Vernet. Un jour, M. Thiers laissait échapper quelques pages enjouées et libres, moins connues peut-être que toutes les autres, sur la destinée singulière d’une comédienne anglaise, mistress Bellamy. Un autre jour, vers la fin de 1822, aux approches