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elle était pour ainsi dire l’âme de cette opposition libérale, qui devenait une armée aussi nombreuse que puissante. Les plus modérés avaient évidemment cru d’abord à une alliance possible, durable, de la légitimité et du régime constitutionnel; parfois, au moindre signe favorable, ils y croyaient encore, peu à peu ils y croyaient moins. M. Thiers, quant à lui, était de ceux qui n’y croyaient pas du tout. Plus que tout autre il se sentait engagé dans cette guerre de la défiance par ses instincts, par ses amitiés, par ses opinions sur la révolution, par cette Histoire même qu’il avait achevée en 1828, qu’il terminait par ces mots : « La liberté n’est pas encore venue, elle viendra! » Assurément M. Thiers ne conspirait pas, il n’avait dans sa nature rien de l’irréconciliable; il ne mettait ni haine ni fiel dans son opposition. Il ne croyait pas à la restauration, il la combattait avec toutes les ressources d’un talent agrandi par l’étude, avec une dangereuse habileté, en polémiste à qui M. Royer-Collard pouvait dire un jour : « Vous les attaquez bien vivement, vous jouez bien la partie. Cela me fait peine, mais que puis-je? la raison est de votre côté. » M. Thiers cependant, lui aussi, avait pu croire que les luttes décisives allaient être tout au moins ajournées par l’avènement du ministère Martignac, et même à ce moment il avait formé un projet singulier. Il étudiait le système du monde, il se proposait d’écrire une Histoire générale, et pour réaliser son dessein tel qu’il l’avait conçu, il songeait tout simplement à accompagner le capitaine Laplace prêt à partir pour un voyage de-circumnavigation. Il avait trouvé auprès du ministre de la marine, M. Hyde de Neuville, le plus aimable empressement. Il touchait déjà au départ lorsque tout à coup, le 8 août 1829, l’arrivée au pouvoir de M. de Polignac venait changer ses projets et le retenir à Paris en lui offrant l’occasion la mieux faite pour le tenter et pour l’enflammer.

Avec le ministère Martignac, les derniers beaux jours de la restauration s’en allaient. Avec le ministère Polignac éclatait partout en quelque sorte le sentiment d’une crise prochaine et décisive. On n’avait pas besoin de retenir M. Thiers, de le détourner de son voyage, on n’avait pas à lui dire deux fois : « Restez et combattons! » Il avait déjà pris son parti de rester et de combattre. Il était prêt à entrer dans les luttes nouvelles, non plus en débutant, inconnu et impétueux comme en 1822, mais avec l’autorité du talent et du succès, avec le nerf d’un tacticien aussi habile que hardi, avec des idées assurées et un but précis. Il avait devant lui l’ennemi, la contre-révolution ostensiblement assise au pouvoir, saisissable et menaçante. Il avait un moment songé à chercher dans le Constitutionnel un instrument de combat, mais il y avait eu quelque difficulté avec le vieux journal. Tout devait être nouveau