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engagée entre les journalistes réunis au National, Il y en avait qui hésitaient. M. de Rémusat, un des premiers, répondait à l’appel de M. Thiers. « Voulez-vous signer? lui avait dit celui-ci. — Sans aucun doute! » répliquait sur-le-champ M. de Rémusat. Tout le monde finissait par signer. C’était le premier acte de la résistance, de la révolution; c’était le signal décisif qui impliquait assurément, pour ceux qui le donnaient, une assez grave responsabilité.

On était loin de savoir ce qui allait arriver. On ne pouvait pas croire surtout que le gouvernement tentât cette aventure sans être prêt au combat, et même dans l’opposition, aux yeux des chefs les plus sérieux, des militaires, des députés, le succès d’une insurrection semblait fort douteux en face d’une armée fidèle. A mesure que les heures passaient cependant, la situation de Paris s’aggravait par degrés. La défense faiblissait ou flottait, — le mouvement populaire ne cessait de s’enflammer et de s’étendre. Au début on avait parlé tout au plus d’une résistance légale, — le second jour, surtout le troisième jour, on touchait à une révolution. Déjà la république trouvait des défenseurs jeunes et ardens qui entouraient le général Lafayette, et l’empire lui-même avait quelques partisans qui commençaient à lever le drapeau de Napoléon II.

La confusion était complète, le sang coulait : il n’y avait plus un moment à perdre pour donner une direction au mouvement, et ici encore M. Thiers prenait un rôle des plus actifs. Hardiment, chez M. Laffitte, il conseillait de sauver la monarchie par un changement dynastique. Il n’inventait sûrement pas le nom du duc d’Orléans ; mais un des premiers il jetait ce nom dans le peuple par une proclamation où il rappelait que le prince « avait été à Jemmapes, » qu’il avait « combattu sous les trois couleurs, » qu’il appartenait à la révolution. Non-seulement il donnait le mot d’ordre en engageant le nom, il recevait en même temps de M. Laffitte, du général Sébastiani, la mission d’aller à Neuilly décider le duc d’Orléans à accepter le rôle qui s’offrait à lui, et là se passait une scène singulièrement émouvante. Le prince avait quitté Neuilly, il était au Raincy. M. Thiers se trouvait pour la première fois, lui inconnu, en face de la duchesse d’Orléans et de la princesse Adélaïde, à qui il dépeignait la situation sous les plus vives couleurs. Il n’hésitait pas à montrer que, si, par un retour de fortune, Charles X l’emportait encore, le duc d’Orléans était désormais trop compromis pour n’être pas menacé de toutes les colères de la cour, que si on laissait la révolution aller jusqu’à la république, on courait aux excès, aux divisions sanglantes, et que la famille d’Orléans aurait le sort des Bourbons, que de toute façon le prince, en acceptant la couronne, en rentrant à Paris, préservait la France et sa maison. La