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Je disais que la cavalerie de César, portée par des vaisseaux ronds, avait été fort mal à propos retenue au port. Quand un changement favorable permit à ces vaisseaux de traverser le canal, ils furent accueillis, en vue des blanches falaises de la Grande-Bretagne, par une violente tempête. Les uns furent remportés vers les côtes de la Gaule, d’autres poussés à l’ouest, du côté des Sorlingues. Ceux-là jetèrent l’ancre; la mer ne leur permit pas de rester longtemps au mouillage. Assaillis par les vagues, il durent couper leurs câbles et reprendre le large par une nuit orageuse.

L’année suivante, César revient à son entreprise. Pour cette seconde expédition, ses préparatifs sont mieux faits. Il ne veut plus confier ses chevaux et ses bagages à des navires incapables de se mouvoir à la rame ; les vaisseaux de haut bord sont bons pour le commerce, ils ne conviennent pas à des opérations de guerre. Toute une flotte est construite dans le court espace d’un hiver, — vingt-huit vaisseaux longs et six cents actuaires. La Gaule a fourni le fer et le bois; les voiles et les agrès sont venus d’Espagne. L’Espagne est déjà la patrie du chanvre. Qu’était l’actuaire? Un vaisseau de charge, mais un vaisseau de charge bas de bord. La trirème antique n’a jamais élevé ses avirons de plus de 2 pieds 1/2 au-dessus de l’eau; la galère du XVIe siècle n’exhaussera que d’un pied le support de ses lourdes rames. Le caractère essentiel du bâtiment à rames consiste dans l’abaissement de toute l’œuvre morte. Nos chaloupes de vaisseau ont déjà une hauteur de plat-bord exagérée; voilà pourquoi elles marchent si mal. César, je le répète, a commandé des vaisseaux de transport qui pussent à la fois naviguer à la voile et ne plus être arrêtés par le calme : — has omnes actuarias imperat fieri. — Comment s’y prendra-t-il pour obtenir ce double résultat? Il abaissera sans hésiter les plats-bords: — quam ad rem multum humililas adjuvat. — Cinq légions, — vingt-cinq mille hommes au moins, — et deux mille chevaux tra- versent le canal dans une nuit. Entraîné par la marée, le convoi s’est trop rapproché de la mer du Nord ; l’erreur est à peine reconnue que César donne l’ordre d’armer les avirons. Il n’entend pas prendre terre sur un autre point que celui qui lui a procuré l’année précédente un débarquement facile. Légionnaires, cavaliers, tous ont saisi la rame. Pendant près de six heures, les vaisseaux de transport rivalisent de vitesse avec les galères : — longarum navium cursum adœquarunt. — Dans sa première campagne, César avait opéré une descente de vive force; cette fois, il ne rencontre aucune opposition. C’est ainsi que je prétends débarquer. La flottille servirait de peu et je la croirais en vérité compromise, s’il fallait la lancer avec tous ses soldats sous le feu de