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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/667

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civilisé. De taille plus petite, il était d’une vigueur musculaire moindre ; ses jambes, plus frêles et moins robustes, lui rendaient plus difficile la poursuite des animaux rapides, dont il eût pu faire sa proie, et le livraient sans défense aux carnassiers avec lesquels il soutenait une lutte de tous les instans. Les alternatives de famine et d’abondance, si fréquentes pour les peuplades dont la chasse est à peu près l’unique ressource, engourdissaient tour à tour ou exténuaient ses forces par l’excès ou la privation d’alimens ; ces alimens eux-mêmes, formés de viande crue, hâtivement et gloutonnement absorbés, développaient outre mesure la capacité de l’estomac et de l’appareil digestif : de là d’immenses orgies de nourriture suivies de laborieuses digestions en toute activité s’éteignait dans la somnolence de la bestialité repue après une longue faim ; de là aussi l’impossibilité de développer une activité continue et toujours égale à elle-même, condition nécessaire pour vaincre les obstacles. Ajoutez une sensibilité physique très obtuse, que les douleurs les plus vives ont peine à émouvoir : rebelle à l’aiguillon de la souffrance, comment l’homme primitif éprouverait-il le besoin de rendre sa condition meilleure ? Er)fin, plus on descend l’échelle animale, plus on voit s’opérer rapidement le passage de l’enfance à l’état adulte ; il en est de même dans le règne humain : chez les races inférieures, la période de développement est plus courte et l’individu arrive plus vite à maturité ; l’organisme a dès lors perdu sa plasticité ; le progrès n’est plus possible, et cet état stationnaire est bientôt suivi de la décrépitude. Cette loi physiologique a dû contribuer encore à rendre plus difficile et plus rare l’évolution de l’humanité primitive vers le mieux.

La conclusion à laquelle aboutit M. Spencer, — et l’examen des caractères émotionnels et intellectuels de l’homme primitif va le conduire au même résultat, — c’est que plus les obstacles étaient grands, moins l’humanité fut armée pour en triompher ; plus il y avait de progrès à faire, moindres étaient les chances de progrès. — S’il en fut ainsi, nous ne comprenons pas que l’humanité en ait réchappé, et nous nous demandons, non sans inquiétude, comment s’accomplira l’évolution. Quoi ! voilà quelques pauvres êtres, errant, nus et solitaires, au milieu d’une nature ennemie ; petits de taille, faibles de muscles, également impuissans à fuir et à poursuivre, traînant sur des jambes courtes et débiles un ventre énorme rarement gonflé d’alimens indigestes qui leur ôtent plus de forces qu’ils leur en donnent ; sans plasticité, sans désir d’échapper à des souffrances dont ils sentent peu les morsures, incapables d’un effort soutenu quand des merveilles d’incessante énergie suffiraient à peine à sauver leur existence assiégée par tant de causes de destruction : et l’on veut qu’à ces traits nous reconnaissions les pères