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où il ne se disait plus que des messes d’occasion. N’était-il pas à craindre que dans ces paroisses, privées de l’enseignement comme du culte, à demi abandonnées et laissées en friche, les fidèles ne perdissent l’habitude et le besoin des pratiques religieuses? Il est bon de compter avec l’esprit du siècle, avec son indifférence en matière de dogmes, avec l’inévitable lassitude que produisent dans les cœurs les petites injustices. Tel homme que révoltent les grandes iniquités n’a pas une constance à l’épreuve des petites vexations journellement répétées. Il est bon de tenir compte des réflexions fâcheuses que peuvent faire des catholiques lésés dans leurs droits, quand ils habitent un pays mixte aux deux tiers réformé ou luthérien, et qu’ils voient l’église rivale accaparer les faveurs de l’état, prospérer, jouir d’un repos qui leur est refusé. A tort ou à raison, on affirme que nombre de catholiques prussiens ont passé au protestantisme dans ces dernières années. Apparemment, ils se seront dit tout bas ce que l’un d’eux disait tout haut : « Après tout, les protestans sont d’aussi braves gens que nous, et leur religion est décidément plus commode à pratiquer. »

D’ailleurs la guerre, quand elle sa prolonge outre mesure, a l’inconvénient de tout remettre en question ; elle enfante de grands désordres, elle répand la confusion partout, elle tue la discipline. Pour faire tête à l’ennemi, l’église catholique n’avait pas seulement mobilisé toutes ses troupes, elle avait mis sur pied ses irréguliers, ses francs-tireurs, et ces irréguliers ont fini par donner de l’ombrage, par causer de graves soucis à ceux qui les employaient. Les soldats d’aventure sont une espèce difficile à gouverner. On ne pouvait soutenir la lutte sans recourir aux services de ces ecclésiastiques sans emploi, de ces abbés nomades ou ambulans qui, n’ayant pas charge d’âmes, ont l’humeur batailleuse, le goût de l’escrime et de l’invective. On avait lancé sur M. de Bismarck ceux qu’il appelait un jour les chapelains de combat, die Hetzcapläne, gens habiles à pérorer dans les conventicules, à rédiger des libelles, à tourner avec art une philippique de journal. Dans beaucoup de paroisses prussiennes les chants d’église avaient cessé et l’orgue s’était tu; en revanche on a entendu partout un grand bruit de plumes irritées, qui couraient fiévreusement sur le papier et parfois le déchiraient de part en part. Ces polémistes tonsurés, se sentant nécessaires et se grisant de leur importance, ont eu le tort de s’oublier; ils ont eu le verbe haut, le geste insolent, ils se sont ingérés en toute chose, ils n’ont plus voulu recevoir de conseils, ils se sont mêlés de donner des ordres. Plus d’un prélat s’est affligé de se trouver aux prises avec leur arrogance et n’a courbé la tête qu’à regret sous leur incommode tyrannie. Un pontife aussi pénétré que 1 est le pape Léon XIII du véritable esprit conservateur et des vraies traditions de l’église ne peut voir sans douleur la moindre atteinte portée à la hiérarchie ; il n’admet pas que celui qui est né pour obéir se mêle de commander, il éprouve le