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avait causé des inquiétudes, inspiré de vives répugnances aux protestans eux-mêmes; ils ont fini par l’accepter, parce qu’après tout ils n’ont jamais eu à se plaindre de lui. Mais si pacifique que soit un pape, le moyen qu’il se soumette aux décisions d’un juge laïque et hérétique dans des matières de discipline où souvent le dogme est intéressé? Le comte Arnim a raconté un entretien qu’il eut à ce sujet avec M. Thiers : — « Un tribunal d’état pour les affaires ecclésiastiques, lui disait son illustre interlocuteur, me paraît un attentat contre le bon sens. Vous y avez mis des juristes, malgré tout ce sera une cour prévôtale. » Il est aussi difficile à Léon XIII de reconnaître l’autorité de cette cour prévôtale qu’au gouvernement prussien de mettre à pied ses juges.

Et puis quel arrangement prendra-t-on à l’effet de pourvoir à la nomination aux évêchés vacans? La mort et le tribunal ecclésiastique ont bien travaillé; sur les douze sièges épiscopaux ou archiépiscopaux que comptait le royaume de Prusse, il n’y en a plus aujourd’hui que trois d’occupés, ceux de Culm, d’Ermeland et d’Hildesheim. Antérieurement aux lois de mai, les relations du gouvernement prussien et de l’église catholique avaient été réglées non par un concordat, mais par une bulle qu’après de longues et laborieuses négociations, Pie VII promulgua en 1821, et à laquelle le roi Frédéric-Guillaume III accorda sa sanction. Apparemment M. de Bismarck s’en tiendra aux dispositions de cette bulle, qui attribue aux chapitres l’élection des évêques et réserve au roi le droit absolu de veto. Il dira : « Présentez-nous vos candidats, nous raierons de votre liste ceux qui nous déplairont. » Si les chapitres et le pape souscrivaient à cette proposition, ils reconnaîtraient par là que les sièges dont le titulaire a été destitué sont devenus réellement vacans ; partant ils admettraient la validité des arrêts rendus par le tribunal ecclésiastique et la compétence de la cour prévôtale. Comment se tirera t-on de ce pas difficile? L’archevêque de Cologne, à qui Léon XIII vient d’écrire, est un de ces prélats destitués; la sentence qui le frappait lui a été signifiée le 28 juin 1876. En le prenant pour confident de ses résolutions, le saint-père n’a-t-il pas témoigné hautement qu’il le considérait comme le véritable archevêque de Cologne? S’en dédira-t-il ou faut-il croire que le gouvernement consentira à réviser le procès et à casser la sentence? Le poète antique avait mille fois raison : «Troubler une cité est chose aisée même pour le faible, mais il est bien malaisé d’y remettre l’ordre, à moins qu’un dieu, prenant en main la barre du gouvernail, ne montre la voie à ceux qui dirigent l’état. »

Ce dieu de Pindare, seul capable de débrouiller les imbroglios les plus compliqués, ce n’est pas à Rome qu’il faut le chercher, c’est à Berlin; si emmêlé que soit l’écheveau, M. de Bismarck saura le dévider; il trouvera des expédiens et des biais pour tout arranger à la satisfaction générale, pourvu seulement qu’il le veuille, car rien ne lui est impossible. Mais le voudra-t-il? On peut affirmer hardiment que cela