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l’exemple des politiques imprévoyans et courts d’esprit. Le 18 mars 1874, il répondait à M. Windthorst, qui avait exprimé l’espoir qu’on arriverait un jour à s’entendre : « Vous savez où je demeure, celui qui a besoin de moi saura me trouver : Wer uns braucht weiss uns za finden. » M. Windthorst a fini par se rendre, il se l’est tenu pour dit ; il s’est résolu, quoiqu’il lui en coûtât, à aller trouver M. de Bismarck, et à la suite de leur entretien, le parti du centre, qui jusqu’alors avait dit non à tout ce que M. de Bismarck proposait, a voté presque unanimement le tarif douanier. De ce jour il a été visible que le conflit religieux était en voie d’apaisement, et on a pu se flatter que M. de Bismarck découvrirait les termes d’un modus vivendi convenable et supportable.

Malheureusement ses exigences croissent avec ses succès ; il tient peu de compte des services rendus, il ne s’occupe que des services qu’on peut lui rendre encore. Ses besoins d’argent sont infinis ; on assure qu’il n’a pas renoncé à revendiquer le monopole du tabac, qui lui assurerait non-seulement la richesse, mais l’opulence. Les catholiques voteront-ils le monopole du tabac ? Peut-être est-ce à ce prix seulement que les lois de mai seront révisées. En 1742, le grand Frédéric-écrivait de Chrudim à son ministre d’état, le comte de Podewils : « Je me suis déterminé définitivement à la paix ; mais je n’ai pas renoncé aux meilleures conditions d’avance. Il faut disputer son terrain et ne céder que ce qu’il est impossible de maintenir. C’est pourquoi il faut attendre la réponse de la cour de Vienne pour hausser ou baisser le ton, selon qu’il nous paraîtra convenable. » Dans ses négociations avec le saint-siège, M. de Bismarck haussera ou baissera le ton selon que M. Windthorst et le parti du centre montreront plus de souplesse, se donneront plus de peine pour se concilier ses bonnes grâces. Les journaux annoncent que le monopole du tabac sera demandé et discuté en automne, que la révision des lois de mai ne sera proposée au parlement prussien, s’il y a lieu, que dans la session d’hiver. Il est possible que cette nouvelle soit fausse, mais elle n’a rien d’invraisemblable ; M. de Bismarck a dit depuis longtemps que donnant donnant est le premier et le dernier mot de la diplomatie. Quoi qu’il en soit, le succès qu’il vient de remporter, et dont la lettre du pape à l’archevêque de Cologne est un témoignage suffisant, prouve que, pour engager une lutte heureuse avec l’église, il faut être un pur politique, dégagé de tout parti-pris et de tout fanatisme. Les libres penseurs qui s’enfarinent de théologie ont plus de peine à s’en bien tirer. Ils jouent mal leur rôle, tôt ou tard leur masque le gêne, ils le laissent tomber ; ce sont là de ces accidens qui compromettent l’autorité d’un homme d’état.


G. VALBERT.