Barberousse et de réveiller Teutonia. À eux maintenant de régler les menus détails du ménage. Elle s’en voudrait de paraître contrarier les « aspirations » allemandes, dont elle a toujours eu grand soin de distinguer son intérêt propre : intérêt et aspirations peuvent parfois marcher de conserve, mais ils ne se confondent jamais, car la Prusse, qui sait nettement ce qu’elle veut et où elle va, a mieux que des aspirations, et n’a de goût que pour le réel, le tangible, le palpable. M. de Bismarck, qui dirige en sceptique une politique un peu mystique qui plaît aux âmes allemandes, aime à se dire Prussien avant tout. Il a fait attribuer à son maître l’empire, déclaré héréditaire dans la maison de Prusse, et le commandement suprême des troupes confédérées ; cela lui suffit, car il est sûr avec cela que rien d’allemand ne pourra désormais l’entraver dans ses plans. Il s’est réservé à lui-même la politique extérieure, qui se résume à entretenir la haine de la France et à ne pas reculer devant des puérilités et des erreurs politiques pour satisfaire cette passion allemande, si utile aux visées prussiennes. Quant au reste, et tant que l’intérêt prussien n’est point directement en jeu, c’est affaire aux Allemands eux-mêmes de l’arranger, à l’aide des lumières des représentans des états au conseil fédéral et des députés de la nation au Reichstag.
Alors devait se révéler une fois de plus l’impuissance bien réelle et maintes fois constatée de ce peuple méditatif à sortir des formules pour entrer dans les faits et à savoir sacrifier ou adapter ses théories aux nécessités de la vie pratique. C’est là un des côtés les plus marquans du génie de la race germanique : autant elle est hardie dans ses conceptions, autant elle a toujours été inhabile à les réaliser et incapable d’en déduire les conséquences applicables à l’organisation sociale. La réforme de Luther en est un exemple fameux : tandis que ce grand mouvement d’émancipation, sorti de la cellule d’un moine saxon, transformait l’Angleterre et réparait la puissance des États-Unis d’Amérique, l’Allemagne elle-même n’en a retiré que l’anéantissement politique où l’a plongée la guerre de trente ans et n’en retient aujourd’hui que le joug tyrannique d’une étroite orthodoxie. Aussi longtemps que l’Allemagne est restée divisée et morcelée, elle aimait à porter au compte de son impuissance politique cette incapacité à s’organiser et à faire sentir au dehors ce qu’elle vaut. Maintenant que la voilà puissante et redoutée entre toutes, cette même incapacité subsiste, puisque le monde entier, l’Alsace-Lorraine surtout, est encore à attendre des marques de la force d’expansion et de l’influence morale et sociale de cette nation à laquelle son sort est lié désormais.
Cette inaptitude des Allemands à se constituer en un corps social