Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/741

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
735
L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

est de rechercher si, dans cette circonstance encore, les Alsaciens-Lorrains ont sujet de se féliciter de faire partie d’une nation qui se donne de telles lois et s’il n’en résulte pas plutôt pour eux un retour en arrière qui les fait, comme presque en toutes choses, rétrograder de plusieurs générations, sinon de plusieurs siècles.

Citons d’abord, pour n’avoir plus à y revenir, quelques points de détail. Les innovations imposées par ces lois n’ont rien laissé subsister en Alsace-Lorraine, ni au civil, ni au criminel, du parallélisme établi par la législation française entre la division judiciaire et la division administrative du pays, ainsi que dans l’échelle de la compétence et des recours, suivant la nature des affaires ou des infractions. Sous prétexte de décentraliser la justice en rapprochant le juge du justiciable et de faire retour à la pure doctrine germanique du juge unique, les justices de paix ont été érigées, sous le nom de tribunaux de bailliage, en véritables tribunaux de première instance. Ces tribunaux constituent le vrai pivot de l’organisation nouvelle, car leur action ne reste point limitée aux menues affaires civiles, mais s’étend au jugement des délits les plus fréquens, moyennant l’adjonction de bourgeois qui, sous le nom d’échevins, assistent le juge ou bailli, non pas comme jurés, mais comme assesseurs. Cette réminiscence du droit carlovingien a été introduite dans la loi sur la proposition du docteur de Schwarze, député au Reichstag et procureur général du royaume de Saxe, qui a consacré toute une existence déjà longue à plaider la cause des échevins. Je ne vois que lui qui puisse nous dire si ce sont les scabini des capitulaires ou les rachimbourgs du droit franc qui lui ont suggéré l’idée de cette restauration. La chose, au surplus, importe peu ; ce qui est sûr, c’est que l’institution fonctionnait déjà à Strasbourg même, il y a juste neuf cents ans, exactement comme elle vient d’être rétablie depuis six mois. Voici, en effet, comment s’exprime le premier statut municipal octroyé à la commune de Strasbourg en 982 : « Le bailli connaîtra des vols, injures et dettes pécuniaires ; il s’adjoindra deux juges ou échevins, qui devront être gens probes, afin que tout bourgeois puisse comparaître avec respect devant cette juridiction. » Et le document ajoute : « Le lieu des assises du bailli et des échevins est la place publique ; l’huissier ira, nommant le demandeur, sommer de vive voix le défendeur à comparoir, partout où il le pourra rencontrer. »

La poste aux lettres ayant été inventée depuis le Xe siècle, et étant même devenue depuis peu, en Allemagne, institution de l’empire qui en retire d’appréciables ressources, le législateur moderne a imaginé de faire concurrence aux huissiers en permettant de remplacer, pour les assignations, la citation « parlant à la