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mande surtout ses ressources aux domaines, aux forêts, aux régales, à la loterie et à des impôts directs qui, sous des noms divers, rappellent le tribut, la dîme, les tailles et les capitations ; mais il en résulte que l’état dont les revenus sont garantis de la sorte est beaucoup moins intéressé, partant plus indifférent au développement de la prospérité publique que ceux dont les revenus indirects constituent les principales ressources. Quand de semblables procédés financiers sont partout remis en usage, sous forme de contributions matriculaires ou de telle autre redevance analogue à celles que le fisc prussien a introduites en Alsace-Lorraine, la production du pays se dessèche, avant même d’avoir porté fruit, et ses meilleures forces économiques sont atrophiées en germe. C’est du moins ce qui est arrivé en Alsace-Lorraine. Cette province, si riche par son sol, si bien douée par le travail, l’intelligence et l’esprit d’épargne de ses habitans, a été convertie en moins de dix ans en un territoire où l’expansion individuelle se heurte de toutes parts à de décourageantes entraves, dictées tantôt par la raison d’état et tantôt par les exigences du fisc.

C’est là du reste un peu l’histoire de l’empire allemand tout entier. On croit rêver quand on considère le triste état matériel où l’Allemagne a été si vite amenée par son culte pour le militarisme. Combien ce grand pays fût devenu autrement redoutable et puissant si, ayant eu après ses victoires le bonheur de posséder à sa tête un véritable homme d’état, ayant la saine intelligence du rôle moderne des nations et de ce qui fait leur vraie force, il avait consacré ne fût-ce qu’une faible part de son butin à s’outiller pour une lutte féconde, par la création des canaux qui lui manquent, le développement judicieux de ses voies ferrées, l’adoption d’un régime douanier rationnel, et une législation favorable à l’essor d’un solide crédit ! Façonnée, par un marché plus vaste, au goût de l’étranger, l’Allemagne serait devenue promptement écrasante, avant même que la France eût eu le temps de se relever de ses ruines et de se remettre au travail. Grâce à sa main-d’œuvre surabondante, à sa vie à bon marché, qui n’a été si singulièrement renchérie que par la fausse politique suivie depuis 1871, grâce à la résistance patiente de sa population qu’aucun travail ne rebute et qui ne dédaigne si mince bénéfice, grâce enfin à cette situation centrale, pour elle si gênante comme état militaire, mais si commode au point de vue commercial, l’Allemagne aurait pu renoncer à jamais au jeu chanceux de conquérir à la guerre l’argent que d’autres demandent aux travaux de la paix. Refoulant la concurrence américaine et tenant tête à la concurrence anglaise, qui ne sont devenues l’une et l’autre si dangereuses aujourd’hui que parce qu’aucune d’elles