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celle des fermiers-généraux et celle des grands seigneurs tendissent singulièrement à se confondre, cependant bien des inégalités subsistaient encore sous la familiarité trompeuse des rapports. Il est impossible, en lisant les Confessions, de ne pas être frappé de l’attitude si différente qu’observe Rousseau dans la société de Mme d’Epinay ou dans celle de la maréchale de Luxembourg, et de ne pas remarquer combien les hôtes de Montmorency semblent lui en imposer davantage que ceux de la Chevrette.. Mais c’était surtout parmi les femmes que la différence des conditions sociales se faisait sentir et que les barrières de l’étiquette étaient difficiles à franchir. Avant que Mme Necker finît par attirer dans sa société les personnes de la meilleure compagnie, il fallait d’abord qu’elle fût reçue dans la leur, et un laps de quelques années était nécessaire pour que son amabilité, son esprit, son mérite reconnu ouvrissent devant elle toutes les portes.

Ce qui aurait été utile à Mme Necker, lorsqu’elle débutait ainsi, fort jeune encore, dans une société qui lui était inconnue, c’eût été l’appui d’une femme assez haut placée pour diriger ses premiers pas et la prendre sous son patronage. Mme Necker aurait pu trouver cette direction bienveillante chez la duchesse d’Enville, auprès de laquelle elle n’avait pas rencontré, alors qu’elle demeurait encore chez Mme de Vermenoux, un accueil moins bienveillant que sur les bords du lac de Genève. Mais, sans compter que, par la liberté de son esprit, par ses relations avec Voltaire et son goût trop prononcé pour les philosophes, la duchesse d’Enville était devenue quelque peu suspecte à une partie de sa société, il semble que Mme Necker, une fois mariée, se soit tenue sur le pied d’une certaine réserve et qu’elle ait mis une sorte de dignité à demeurer en arrière. C’est ainsi que Mme Necker, ayant donné un bal à l’hôtel Leblanc, n’avait invité ni la duchesse d’Enville, ni la duchesse de Rohan-Chabot sa fille, et comme la duchesse d’Enville, en réclamant aimablement contre cet oubli, demandait également une invitation pour ses deux neveux, le duc de Liancourt et le comte de Durtal, Mme Necker, tout en déférant avec empressement à son désir, alléguait pour s’excuser la crainte que la jeune duchesse et ses cousins ne s’ennuyassent dans une société où ils auraient rencontré peu de gens de connaissance.

Des raisons assurément très différentes faisaient que Mme Necker n’avait pas davantage à compter sur sa première protectrice. Mme de Vermenoux, pour étendre le cercle de ses relations. Bien que la crainte de déchoir du rang aristocratique qu’elle croyait devoir à son défunt mari fût une des raisons qui avaient déterminé Germaine Larrivée, dame de Vermenoux, à refuser la main de M. Necker, cependant elle ne laissait pas que de faire assez petite figure à Paris, où