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Assurément il y a quelque chose à rabattre du jugement sévère porté par Mme de la Ferté-Imbault sur les femmes dont elle cite les noms dans cette lettre. Il n’est point exact qu’elles fussent l’horreur des honnêtes gens, ni que Mme Necker se fût fait du tort par des relations qui lui étaient communes avec toute la société. Cependant il est assez curieux de constater qu’en ce temps de morale relâchée des termes aussi durs fussent déjà employés en parlant de femmes dont quelques-unes rencontrent en nous des juges plus indulgens. Parmi ces femmes se trouve une amie de Mme Necker, dont le nom revient assez souvent dans les mémoires du temps, bien qu’il soit loin d’avoir la célébrité des trois autres : c’est Mme de Marchais. Mme de Marchais, de son nom Julie de Laborde, était femme de l’un des premiers valets de chambre du roi, situation qui n’impliquait pas, alors comme aujourd’hui, la domesticité et qui était une sorte de charge de cour. Elle est parfois désignée dans les lettres que j’ai sous les yeux sous le titre de gouvernante du Louvre, où elle avait en effet un logement. Elle était très petite et pas jolie, mais elle avait de magnifiques cheveux blond cendré qui, lorsqu’elle les défaisait pour les faire voir, tombaient jusqu’à ses pieds, et sa physionomie mobile, animée, reflétait toute la vivacité de son esprit et de son caractère, Mme de Marchais, qui était un peu parente de Mme de Pompadour, et qui avait chanté dans ses petits soupers, s’était servie de la faveur dont elle jouissait auprès de la favorite pour se pousser dans le monde, et elle avait peu à peu rassemblé autour d’elle une petite société dont Quesnay, le médecin de Mme de Pompadour, et les économistes avaient formé le premier noyau ; à cette société étaient venus se joindre quelques gens de lettres, puis quelques grands seigneurs dont les voyages à Marly ou à Fontainebleau, qu’elle faisait à la suite de son mari, lui avaient permis de faire la connaissance et à la fin quelques femmes de qualité que sa bonne grâce et sa réputation d’agrément avaient attirées.


Sa société, dit Marmontel dans ses Mémoires, étoit composée de tout ce que la cour avoit de plus aimable et de ce qu’il y avoit parmi les gens de lettres de plus estimable du côté des mœurs, de plus distingué du côté des talens. Avec les gens de cour, elle étoit un modèle de la politesse la plus délicate et la plus noble ; les jeunes femmes venoient chez elle en étudier l’air et le ton. Avec les gens de lettres, elle étoit au pair des plus ingénieux et au niveau des plus instruits. Personne ne causoit avec plus d’aisance, de précision et de méthode. Son silence étoit animé par le feu d’un regard spirituellement attentif ; elle devinoit la pensée, et ses répliques étoient des flèches qui ne manquoient jamais le but.