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sommes parfois tentés de porter contre vous, et ne faut-il pas tenir compte des circonstances étranges où vous viviez ? Lorsqu’après tant de siècles d’existence, une société tout entière s’était prise tout à coup à douter d’elle-même et mettait son honneur à se détruire au lieu de se réformer, lorsque l’antique religion sur la foi de laquelle cette société avait vécu semblait à la veille de s’écrouler sous les coups d’une philosophie dont le langage retentissait des mots de tolérance et de liberté faits pour séduire les âmes généreuses, lorsque tout s’écroulait et se renouvelait à la fois, faut-il s’étonner que vous vous soyez élancées vous-mêmes avec ardeur dans ces voies inconnues et que sans guide, sans soutien, plus d’un faux pas ait marqué votre route ? Dans cet enthousiasme pour l’amour et la vertu dont votre langage offre si souvent le mélange singulier, tout était-il déclamation, hypocrisie, mensonge, et ne cherchiez-vous pas au contraire, jusque dans vos faiblesses, à retrouver et à atteindre un certain idéal d nt vos yeux entrevoyaient l’image confuse ? On vous avait appris à ne plus croire, et l’étroit sentier du devoir, dépouillé de tout ce qui pouvait en adoucir les aspérités, vous paraissait bien rude à parcourir ; mais vous aviez le culte des idées nobles, des sentimens élevés, et c’était sincèrement que vous aviez cru pouvoir remplacer la morale par la sensibilité. N’oublions pas, d’ailleurs, qu’il y en eut beaucoup parmi vous qui montèrent sur les échafauds de la terreur avec un courage élégant et que les autres, après avoir traversé avec une bonne humeur vaillante les épreuves de l’émigration, ont offert à la génération nouvelle le spectacle d’une vieillesse aimable et digne. Gardons-nous donc, si nous voulons demeurer dans la justice et dans la vérité, aussi bien des sévérités brutales sous lesquelles des censeurs grossiers accablent aujourd’hui vos grâces délicates, que des illusions complaisantes qui cherchent en vous le modèle de vertus oubliées, et goûtons, non pas sans réserve, mais sans pédanterie, le charme qui s’attache à ces vieilles lettres échappées au hasard de votre plume gracieuse et facile :


J’aime à vous voir dans vos cadres ovales,
Portraits fanés des belles du vieux temps,
Tenant en main des roses un peu pâles,
Comme il convient à des fleurs de cent ans.


Puissent les pages qu’on vient de lire avoir rendu quelque vie à ces portraits fanés, et à ces roses pâlies quelques restes de couleur !

Othenin d’Haussonville.