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n’offrent que de rares boutiques ouvertes, et c’est à peine si quelques oisifs y viennent traîner leurs babouches d’un air ennuyé. La population se compose en bonne partie de Turkomans, qui, l’été venu, fuient la chaleur dans les yaïlas de la montagne. Il n’y a qu’un Européen à Tarsous, M. P..., médecin italien, qui paraît n’avoir conservé aucune illusion sur les progrès qu’on peut attendre des Turcs ; il ne sort le soir qu’armé d’un sabre de cavalerie, précaution nécessaire, nous dit-il, dans ce pays fréquenté par les Yourouks. Il y a quelques mois, des Français venus en Cilicie pour recueillir les loupes des noyers, qui servent à faire des placages, ont été attaqués sur la route de Mersina à Tarsous; des Yourouks les ont assaillis et blessés grièvement. D’après les récits de M. P..., la propreté relative de Tarsous serait due à l’activité et à l’énergie du vali d’Adana, ancien officier, qui a fait ses premières armes en Afrique dans un régiment français. Il a rapporté d’Algérie des allures toutes militaires, qui contrastent avec la nonchalance habituelle des magistrats turcs. Tout un quartier de la ville était malsain, inhabitable, et cependant les Turcs se refusaient à réparer leurs masures ruinées, à nettoyer leurs rues encombrées d’immondices. Le vali, après avoir prévenu les habitans, a fait mettre le feu aux bicoques du vieux quartier; elles sont aujourd’hui remplacées par des maisons en pierre, bien alignées, et formant de larges rues où l’on circule à l’aise. La disgrâce du vali n’a pas tardé, après ce coup d’autorité; mais il a déclaré qu’il restait à son poste jusqu’à ce qu’on lui eût fait connaître le motif de sa révocation; quant à son successeur, s’il arrivait à Tarsous, il le ferait reconduire au bateau par deux zaptiés. Si le vali d’Adana est un homme d’énergie, le kaïmacam de Tarsous est un Turc de la vieille roche, de ceux dont un orateur anglais disait à la chambre des communes : « Si nous essayons de gouverner la Turquie par les pachas de Constantinople, nos tentatives de réformes nous condamnent à échouer absolument. » Ce magistrat est ivre dès dix heures du matin. Il y a peu de jours, dans un accès d’ivresse, il a donné ordre à ses zaptiés de fusiller le mudir, et peu s’en est fallu que le pauvre homme n’éprouvât les effets de cette brutale colère.

Tarsous était, il y a quelques années encore, une mine de curieux monumens figurés, dont le Louvre possède de riches échantillons. Au sud de Tarsous, s’élève un monticule appelé Gueuslu-Kalah, qui vient aboutir à la porte de Mersina (Kandji-Kapou). Le consul anglais à Tarsous, M. Barker, explora une partie de cette butte, et ses fouilles amenèrent la découverte d’un grand nombre de fragmens de terres cuites. En 1853, M. V. Langlois, aidé par le consul de France, M. Mazoillier, exécuta de nouvelles fouilles, à la suite desquelles huit caisses pleines de fragmens de terres cuites furent