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contesté; seulement la Russie nous a dit: Si vous voulez maintenir votre souveraineté sur ces contrées, empêchez ces tribus de détruire les pays voisins; si vous ne pouvez pas prendre sur vous cette responsabilité, alors, dans l’intérêt du commerce et de l’humanité, ce sera mon devoir de grande puissance voisine de venir mettre un terme à cet état de choses, qu’il n’est pas possible de tolérer plus longtemps. Comme la responsabilité était au-dessus de nos forces, la Russie, tout heureuse de notre impuissance, s’est avancée et s’est mise à l’œuvre avec les moyens que l’on sait.

Et pourquoi la tâche était-elle au-dessus de nos forces?

Nous l’avons dit : Pour soumettre les Turcomans, il nous fallait Merv, et pour avoir Merv, il nous fallait être à Hérat. Or Hérat nous était enlevé pour les excellentes raisons que nous venons de voir. C’est ainsi que l’Angleterre, en nous excluant de cette ville et en nous ôtant notre seul moyen de soumettre les Turcomans, a elle-même amené la Russie à envahir la vallée d’Asrek et à pénétrer par là jusqu’au cœur du Khorassan.

Il est hors de doute que, si le gouvernement persan avait pu établir chez les Turcomans un ordre de choses tolérable, la Russie n’aurait pas trouvé si aisément les prétextes et les moyens qui favorisent aujourd’hui ses progrès dans ces pays.

Pour y entrer, elle eût été obligée de faire une guerre ouverte à la Perse, et la Perse, au lieu d’être épuisée comme aujourd’hui par ses interminables luttes contre les Turcomans, aurait trouvé au contraire, dans le concours même de ces tribus soumises, une force de résistance qu’au besoin l’appui de l’Angleterre aurait pu rendre formidable. En tout cas, les généraux russes auraient trouvé devant eux des obstacles bien autrement sérieux que l’opposition anarchique de quelques tribus isolées, sans chefs, abandonnées de tout le monde et poursuivies même du côté des Persans.

Le jour approche où l’on reconnaîtra que, sur ce point, l’Angleterre a commis une de ces fautes qui changent quelquefois le cours de l’histoire. Si la politique anglaise avait quelque chose à faire dans ces contrées lointaines, c’était uniquement d’aider le gouvernement du schah à soustraire ces tribus turcomanes à l’envahissement russe. L’essentiel pour l’Angleterre n’était pas d’aller combattre à Hérat ce chimérique agent consulaire que personne n’aurait eu besoin d’y envoyer. Le danger réel pour l’Inde et pour l’Asie, c’était l’absorption de ces tribus turcomanes par la puissance militaire de la Russie, car il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui c’est un général russe qui gouverne la capitale de Teymourlang, et que c’est de ces mêmes contrées, à la tête de ces mêmes hordes, que tous les Genguis sont partis autrefois pour la conquête et le pillage de l’Asie. De toutes ces races guerrières, les Turcomans constituent