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contre les papes;.. comment, en plus d’un cas, l’opinion de la foule ne se serait-elle pas égarée? comment n’aurait-elle pas accueilli avec un empressement crédule les excuses même les moins fondées pour des crimes qu’un éclatant repentir pouvait, au point de vue chrétien, avoir rachetés? Quand le prêtre pouvait dire : « Elle est morte comme une sainte, » quand il proclamait le pardon de Dieu même, comment l’esprit public ne serait-il pas entré en défiance contre la justice humaine et les droits terribles qu’elle revendiquait?

Il en fut de la sorte pour la Cenci. Une multitude innombrable, de toutes les classes de la société romaine, remplissait le 11 septembre au matin les rues et les place?. La foule était si pressée et la chaleur si forte qu’il y eut, dit-on, des centaines de blessés ou de morts. Une grande quantité de confréries, toutes celles en faveur desquelles Béatrix avait fait quelque legs pieux, voulurent l’assister publiquement à son dernier jour. Après l’exécution, pendant laquelle la jeune fille se comporta courageusement aux yeux de tous, le corps fut exposé, entouré de flambeaux; une immense procession l’accompagna jusqu’à l’église Saint-Pierre in Montorio, lieu de la sépulture. Peu s’en fallut que la foule ne lui attribuât des miracles. On comprend bien qu’avec le temps, le sens de la réalité, déjà très obscur, s’affaiblissant encore, mais le souvenir ému subsistant, une explication extraordinaire comme celle dont s’est faite la légende a été de plus en plus accueillie.

Au nombre des erreurs infinies qui se sont accumulées autour de ce trop célèbre épisode, il y a cette fausse accusation que les papes avaient eu pour but, en prononçant la sentence, de confisquer les biens. Ce qui est vrai, c’est que la confiscation, suivant le droit d’alors, devait suivre d’elle-même; mais Clément VIII laissa s’exécuter les dernières volontés et les différens legs de Béatrix; la veuve de Giacomo, son frère, mis à mort avec elle, obtint que sa fortune et celle de ses six enfans fussent restituées. Cette fortune des Cenci était dès longtemps compromise; comme les créanciers pressaient, les héritiers demandèrent avec instance et obtinrent, malgré la condition des biens qui leur restaient, et dont plusieurs étaient des fidéicommis, la permission de les aliéner et de les vendre. On a dit que les Borghèse, neveux de Paul V, les avaient spoliés; mais c’est le contraire, car les Cenci, soit les héritiers directs, soit des collatéraux, en continuels procès avec leurs parens, furent très heureux de vendre à cette grande famille, devenue riche et puissante, des propriétés dont M. Bertolotti, d’après les actes notariés, nous donne exactement la liste, avec les sommes d’achat. On y remarque deux domaines situés dans le Trastévère, et un certain Casate di Testa di lepre, acheté vers 1618 par Scipion Borghèse; celui-ci, ajoutant cette terre à ses autres possessions au-delà de la porte del Popolo, en forma la célèbre villa qui porte encore aujourd’hui son nom. Les Cenci avaient