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formait alors la frontière de Buenos-Ayres. Pour le point d’attaque aussi bien que pour le débouché du butin, il n’avait que l’embarras du choix et pouvait en chaque cas s’inspirer des circonstances. Or ce n’étaient pas les inspirations opportunes qui lui manquaient ; un seul fait en donnera une idée, celui qui le mit hors de pair. Quand il vint s’installer à Salinas-Grandes, petit cacique chassé de la Cordillère par des dissensions intestines et par la faim, les chefs voisins, qui avaient méconnu l’importance de cette position et dédaigné l’intrus qui venait y camper, ne tardèrent pays à se raviser et à revendiquer à qui mieux mieux ce territoire. Calfucura était le plus faible, il négocia. Pendant qu’il sollicitait et obtenait du gouvernement argentin une sorte d’investiture pour ce coin de prairie, en se prévalant des hostilités dont il était l’objet de la part de gens en guerre avec la république, il représentait à ses compétiteurs quelle folie c’était de s’entre-déchirer pendant que l’ennemi commun avançait. Il fit si bien qu’il parvint à les réunir à un banquet de réconciliation où il les empoisonna tous. Il s’empara ensuite tout naturellement de leurs tribus, que la vigueur et l’habileté de cette manœuvre avaient frappées d’admiration. Du reste, ce n’était pas seulement un politique de cabinet : à quatre-vingt-cinq ans, il commandait en personne sa dernière invasion et sa dernière bataille, où il fut défait, mais où il ne se retira qu’après sept charges infructueuses contre les carrés chrétiens. Le fils de ce grand homme, Namuncura, qui continuait, sans y avoir les mêmes droits personnels, à prendre le titre de cacique général de la pampa, n’était plus à l’heure présente qu’un pauvre diable en fuite que nous nous étions promis de suivre aussi loin qu’il lui plairait de nous mener.

La route qu’il avait choisie dans sa retraite avait, été la plus fréquentée par les troupeaux passant au Chili. Le désert a aussi ses voies de grande et de petite communication faciles à distinguer par le nombre, la profondeur et l’aspect des sentiers sinueux qu’y a creusés le sabot des animaux. Celle-ci justifiait la préférence visible qu’on lui avait accordée de temps immémorial. Tracée sur la lisière de la formation calcaire et de la formation arénacée elle ressemblait à une allée de parc. Sur la droite s’étendait une rangée régulière de dunes, sur la gauche une forêt de caroubiers séculaires dont les derniers rejetons, à l’intersection du sable et de la pierre, étaient alignés aussi droit que les arbres d’un boulevard. La petite vallée enserrée entre ces deux belles décorations naturelles présentait cette richesse de végétation et cette abondance d’eau qui donnent aux vallées de même origine une si grande importance : les lacs succédaient aux lacs. C’était un fort joli paysage sans doute ; mais il avait le tort de se poursuivre sans variations sur 40 lieues de longueur. Peut-être aussi la manière que nous