essayait de l’appliquer au travail. Les vrais maîtres d’Alexis furent les hauts dignitaires du clergé moscovite. Ce clergé, menacé dans son influence, dépouillé d’une partie de ses biens, décapité par l’ukase qui supprimait la dignité patriarcale, était attaché de tout cœur à l’ancien régime; la réforme n’avait pas d’adversaire plus violent et plus dangereux. Un prêtre à l’esprit rude et dominateur, le protopope Iakof Ignatief, se chargea d’être auprès du prince l’instrument des rancunes et des espérances de ses supérieurs. Directeur spirituel du jeune homme, il prit sur son âme une influence absolue; il adressait à son pénitent des admonitions terribles dont quelques-unes nous ont été conservées, lui faisant jurer sur l’Évangile d’obéir à son confesseur comme à Dieu même, le menaçant des colères célestes s’il cachait une seule de ses pensées.
Alexis versa dans la dévotion étroite et matérielle des vieux Moscovites. Très sensible à la pompe des cérémonies, à l’attrait mystique des cloîtres, il ne se plut qu’à l’ombre des églises du Kremlin, dans la société des religieux et des théologiens. On crut revoir dans le parvis du couvent du Miracle ce tsar-moine Féodor, dont nous avons conté l’histoire à cette place, qui sonnait les cloches et chantait au chœur, tandis que Boris Godounof régnait sous son nom. La cour de l’héritier se reformait pareille à celle des grands-ducs du XVIe siècle, pleine de chantres, de moines, de faiseurs de miracles, de pieux mendians qui portaient en cachette les messages de l’exilée de Souzdal aux matrones voilées du térem de Moscou. Toujours à la mode du vieux temps, une licence grossière et de hâtives débauches se mêlaient à ces dévotions, énervant la santé débile d’Alexis, trop faible pour les traverser impunément, comme avait fait son père. Tout ce monde suranné, haïssant et craignant Pierre, conspirait à mots couverts, du geste, du regard. Parfois le tsar terrible accourait à l’improviste de la frontière, de la Hollande, de ses chantiers de Pétersbourg; chacun composait son visage et sa parole, se prosternait devant le maître, devant les étrangers maudits qui le suivaient; dès qu’il avait repassé les portes du Kitaï gorod, le sourd murmure reprenait, les cellules et les bazars se renvoyaient de nouveau des paroles équivoques. L’enfant était ainsi dressé à la dissimulation, au mensonge, à toutes les servilités de la terreur. On lui enseignait qu’il est méritoire de résister à un père qui use de son pouvoir pour le mal. Un jour, il s’accuse aux pieds de son confesseur d’avoir souhaité la mort de ce père : « Dieu te pardonne! répond Iakof, nous la souhaitons tous, car il pèse sur le peuple. » Indolent, bien que d’un esprit ouvert, Alexis avait l’horreur du mouvement; il n’était à l’aise que renfermé dans son palais de Moscou, comme ses ancêtres, sous les pelisses fourrées et le haut bonnet