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officiers signalent quelques indices de son passage à Kœnigsberg et à Dantzig; après, tous s’égarent sur de fausses pistes, celles d’inoffensifs marchands russes. Pierre avait sous la main, à Amsterdam même, un plus fin limier, son ambassadeur à Vienne, Abraham Vessélovski. Il le lança à la recherche de son fils avec des instructions détaillées, des réquisitions pour l’arrestation où besoin serait de « quelques cavaliers russes de distinction, » et une lettre autographe pour l’empereur Charles VI, prié d’appuyer ces recherches. Vessélovski arriva sans débrider à Piritz, à cinq postes de Francfort-sur-l’Oder, le 1er janvier 1717. Là il apprit qu’un officier russe, avec une femme et quatre serviteurs, avait passé récemment : on l’avait également remarqué aux postes suivantes. Aux portes de Francfort, Vessélovski interrogea les agens qui tiennent le registre des entrées ; sur la feuille du mois d’octobre, à la date du 20, il trouva cette mention : « Le lieutenant-colonel Kochanski, de Moscou, avec sa femme et ses serviteurs; descendu à l’auberge de l’Oie d’or, hors la ville. » Vessélowski courut à l’Oie d’or : l’hôtelier ignorait le nom de l’officier, mais il se rappelait ses moustaches noires à la française et sa petite femme rondelette; après avoir dîné et reposé deux heures, ces voyageurs étaient repartis en poste sur la route de Breslau. L’agent du tsar tenait désormais un fil ; il prit la route indiquée, recueillant des dépositions concordantes à tous les relais. A Breslau, à Neisse, à Prague, on se souvenait du colonel russe Kochanski dans les tavernes; dans la capitale de la Bohême, il avait demandé des chevaux pour la poste de Vienne. Vessélovski craignit un moment de perdre de l’avance; brisé par la fatigue de cette course, sans un instant de repos depuis Amsterdam, le malheureux ambassadeur fut pris de fièvre et d’un flux de sang. Les médecins voulaient le retenir deux semaines à Prague; il s’y refusa et repartit après vingt-quatre heures pour Vienne.

Dans cette ville, c’était le cavalier polonais Kréménetzky qui avait jeté son nom aux préposés de la barrière le 9 novembre. On l’avait hébergé un jour à l’Aigle noir; il y avait acheté un vêtement d’homme pour sa femme, qui avait aussitôt endossé le costume masculin; le lendemain, il avait fait prendre ses effets par une voiture, payé sa note, et s’était éloigné seul, à pied, sans laisser d’indications. Vessélovski fouilla toutes les auberges de la capitale sans succès. Un maître de poste lui avait dit, à quelques milles avant Vienne, que le voyageur qui l’intéressait s’était informé de la distance jusqu’à Rome et du prix d’un équipage. Notre ambassadeur crut pouvoir porter ses recherches dans cette direction. Tout diplomate digne de ce nom, au siècle dernier, avait dans son jeu