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point à ce qu’on peut appeler le côté politique de la question. Les libéraux sont tenus d’aller plus loin : lord Hartington, dans le cours de l’automne dernier, s’est prononcé pour l’abolition des substitutions. Cela ne suffit point encore aux radicaux, qui réclament la suppression du droit de primogéniture. Il est superflu de faire observer qu’ils visent par là à détruire l’influence et l’indépendance de la pairie, qui perdrait son caractère et sa raison d’être. Une autre mesure non moins grave par les conséquences politiques qu’elle produirait immédiatement est l’introduction en Irlande de la loi électorale appliquée en Angleterre. Le droit de suffrage se trouverait ainsi conféré au locataire de la plus misérable chaumière ; le dernier coup serait porté à l’influence des propriétaires du sol et des chefs d’industrie : les classes inférieures deviendraient maîtresses des élections avant d’avoir acquis l’instruction et l’indépendance qui leur permettraient d’user de leur droit avec discernement ; et 108 sièges, c’est-à-dire un sixième de la chambre des communes, tomberaient ainsi à la discrétion des agitateurs autonomistes et leur permettraient de peser sur les décisions du parlement.

La mesure qui devra occuper la première place dans le programme du nouveau cabinet est l’établissement d’une législation électorale uniforme pour les bourgs et pour les comtés. Lors des élections de 1874, lord Hartington refusait encore de prendre des engagemens sur cette question ; il en contestait l’urgence et prétendait qu’elle avait encore besoin d’être mûrie ; dans la session de 1879, peut-être parce qu’il ne se croyait pas aussi près de prendre le pouvoir, il s’est déclaré converti ; il a parlé et voté en faveur de la motion Trevelyan, qui posait le principe de l’uniformité des droits électoraux. De tous les hommes considérables du parti libéral, il n’y a plus que M. Goschen qui soit opposé à l’application de ce principe ; sa résistance ira-t-elle jusqu’au refus d’un portefeuille ? Les comtés où les conditions de l’électorat sont plus élevées que dans les bourgs forment l’élément conservateur des élections anglaises ; ils prennent leurs élus parmi les grands propriétaires et les riches industriels des deux partis ; mais il n’y a point d’exemple qu’aucun ait nommé un radical. Une extension considérable du droit de suffrage changera le caractère de ces circonscriptions et ouvrira un nouveau champ à l’activité des agitateurs socialistes. On peut dire que c’est le lest du parlement qui sera ainsi jeté à l’eau. Ce changement en entraînera nécessairement et immédiatement un autre : la suppression des petits bourgs, dernier refuge de l’influence de la bourgeoisie. Comment admettre qu’un bourg où le chiffre des électeurs ne dépasse pas trois ou quatre cents continue à nommer un et surtout deux députés, lorsqu’au-delà des limites municipales s’étendent de vastes circonscriptions