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nécessaires au service du roy, sinon après leur exécution et dans un temps où elles sont inutiles? Certes ils diroient que les François, ayant changé leurs lois et leur monarchie, ils devroient pareillement changer de nom. »

Qui se serait attendu à lire cette protestation sous la date de 1673, c’est-à-dire an plus beau moment du grand règne, à une époque où la France, éblouie et charmée, semble heureuse à force de gloire, où le despotisme, paré de grandeur et de génie, semble bienfaisant, tant il est prospère et noblement inspiré? Ainsi, dans ce plein épanouissement de la féconde activité du XVIIe siècle, lorsque Condé gagne la bataille de Senef, lorsque Racine écrit Iphigénie et Mithridate, Boileau l’Art poétique, lorsque Colbert crée l’industrie, lorsque l’Europe, battue sur terre et sur mer, est à nos pieds, il existe encore sous cette apparente unanimité de la satisfaction publique, des dissidens et des réfractaires, des débris d’anciens partis, qui gémissent sur le temps présent, augurent mal de l’avenir, qui disent tout bas ce que trente ans plus tard Vauban, Fénelon, Saint-Simon, les mécontens et les attristés de la fin du règne, les frondeurs de la décadence, oseront dire tout haut et publier. C’est à ce survivant de 1648 que nous allons demander de nous introduire dans l’assemblée des chambres du parlement et d’y ranimer les voix éloquentes qui avaient passionné sa jeunesse.


II.

En 1648, le personnage le plus en vue et en crédit, l’orateur le plus écouté dans le parlement de Paris, était, — qui le croirait? — ce conseiller de grand’ chambre que la plupart des historiens, trompés par les mémoires du cardinal de Retz, appellent dédaigneusement le bonhomme Broussel. « Si vous aviez connu ce bonhomme, écrit Retz, vous ne seriez pas peu surpris du choix qu’on fit de lui pour l’arrêter. » Il dit encore, un peu plus loin--: « Le bonhomme Broussel étoit vieilli entre les sacs, dans la poudre de la grand’ chambre, avec plus de réputation d’intégrité que de capacité... Vous jugez bien que, s’il y eût eu de la cabale dans la compagnie, l’on n’eût pas été choisir des cervelles de ce carat. » Voilà qui est clair, et c’est ainsi qu’on l’a généralement compris : cette victime du coup d’état du 26 août n’était qu’un pauvre vieillard inoffensif, d’un esprit borné, un Géronte de la comédie politique, idole et jouet des factions, un caprice du peuple de Paris, qui s’est toujours permis tant d’inexplicables fantaisies. Désigné à la haine de la cour par l’aveugle faveur de la multitude, il expiait son seul