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LE
JUGEMENT D’UN ANONYME
SUR
L’ALLIANCE PRUSSO-RUSSE

On a dit avec raison que deux vieux amis qui se brouillent se déshonorent, que lorsqu’on ne peut plus vivre ensemble, le mieux est de ne pas rompre, mais de dénouer. C’est une sagesse qui se prêche, mais qui ne se pratique guère. La passion est plus forte que la prudence; on ne résiste pas à l’envie de faire du bruit, de l’éclat, d’épancher son cœur, de décharger sa bile, de confier ses rancunes à tout l’univers. On accuse, on récrimine, on étale les services rendus, on compte sur ses doigts les noires ingratitudes dont ils ont été payés, on se pose en créancier à qui son débiteur a fait banqueroute, on prend à témoin de son bon droit les dieux vengeurs des justes querelles et de la sainteté des sermens. Il n’y a qu’un pas des doléances aux aigreurs, des reproches aux emportemens, et, cédant à la fureur d’avoir raison, on commet de regrettables indiscrétions, sans songer que de toutes les fureurs celle d’avoir raison est quelquefois la plus sotte, que le dépit est un dangereux conseiller, que fort souvent les indiscrets ne compromettent qu’eux-mêmes et qu’il est toujours fâcheux d’égayer à ses dépens la galerie, qui d’habitude ne demande qu’à se divertir. Il en est des peuples comme des individus et de leurs alliances comme des amitiés de la vie courante. Quand deux nations pendant de longues années ont couru les mêmes aventures, se sont prêté une mutuelle assistance, qu’elles y ont trouvé leur compte et que par suite d’incidens imprévus elles ne l’y trouvent plus, elles ne sauraient mieux faire que de se