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été comme la rançon de la défaite de l’article 7, ces décrets, on n’en disconviendra pas, sont une satisfaction de parti, une concession à certaines idées, à certaines passions. Ils ont été imaginés pour répondre à de prétendues nécessités parlementaires, aux impatiences des fractions les plus avancées de ce qu’on appelle la majorité républicaine. Ils restent l’expression officielle plus ou moins mesurée des vieux préjugés républicains, d’une pensée de réaction ou de combat contre le « péril clérical, » contre ce terrible péril que M. Dufaure a déclaré n’avoir jamais aperçu distinctement lorsqu’il était au pouvoir. Pour le gouvernement il ne s’agit pas d’une persécution religieuse, d’une guerre poussée à fond contre la religion catholique, contre l’église ; c’est possible. Où trouve-t-il cependant ses appuis et ses défenseurs ? Quels sont ses alliés dans la malheureuse campagne qu’il a inaugurée ? Il n’y a point à s’y méprendre, ses plus vrais alliés sont tous ceux qui, dans les chambres, dans la presse, ou dans le conseil municipal de Paris, ne cachent pas qu’ils ne voient dans les décrets du 29 mars que le premier acte des hostilités, le commencement de la guerre contre le cléricalisme. Or, tous ces mots de guerre contre le cléricalisme, de revendications, du « laïcisme, » on n’ignore pas ce qu’ils veulent dire. On sait bien que cela signifie antipathie contre le prêtre, que là où le gouvernement parle des jésuites, d’autres entendent le catholicisme, que sous une certaine diplomatie de langage s’agitent des passions de secte qui ne tendent à rien moins qu’à l’exclusion de toutes les influences religieuses. Le conseil municipal de Paris, lui, n’y met pas tant de façons. Il institue de son autorité propre la censure des livres d’enseignement où l’on parle de la Bible, il mettrait au besoin la main sur les églises pour les consacrer à des clubs, il « laïcise » jusqu’à extinction. Il applique à sa manière l’article 7, qui n’est pas voté, et les décrets du 29 mars. Le désavoue-t-on ? M. le préfet de la Seine réserve ses hardiesses et son esprit pour les circulaires où il célèbre le mariage civil en se bornant à ne pas abandonner tout à fait les salles des mairies aux prédications de la démagogie laïque. Il se garderait de refroidir le zèle réformateur du conseil municipal. C’est un allié peut-être quelquefois un peu compromettant, mais c’est un allié à ménager !

Qu’on nous explique donc ce phénomène d’un gouvernement prétendant rester modéré dans l’application de mesures exceptionnelles et réduit à n’avoir pour alliés que ceux qui croient servir la république en la conduisant au combat contre toutes les influences religieuses, contre ce qu’ils appellent les « curés. » M. le président du conseil s’est vraiment donné à résoudre un problème assez compliqué. S’il veut être modéré jusqu’au bout, s’il veut résister à des passions qu’il ne partage pas, il est fort exposé à rester seul un jour ou l’autre, à ne pas être suivi par l’armée qu’il a cru pouvoir rallier avec ces imprudens décrets du 29 mars. S’il se laisse entraîner au feu de l’action, que deviennent ses