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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/244

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publique s’en va à Lille chercher des ovations, prendre sa revanche de la défaite de l’article 7, et le résultat le plus clair de son voyage est de laisser dans une ville industrieuse des excitations toujours dangereuses, d’embarrasser en définitive le gouvernement de son importance agitatrice. M. le garde des sceaux, pour fermer la porte du conseil d’état à quelques jeunes gens prétendus cléricaux, laisse violer subrepticement les lois, et s’expose à tous les ennuis d’une situation fausse devant le sénat témoin de ses contradictions. M. le ministre des finances, en allant au secours de son collègue, a son petit échec. Il n’est pas jusqu’à M. le ministre de la guerre dont le temps pourrait être mieux occupé et qui ne semble subir la maligne influence en épurant pour cause de cléricalisme, en menaçant de radiation les enfans de troupe qui fréquenteraient les écoles congréganistes. Qu’on y prenne bien garde, avec ces éternelles obsessions cléricales et ce 16 mai qui revient toujours comme un fantôme, on finit par perdre tout sang-froid, par se créer des difficultés à tout propos, — et, non, en vérité, cela ne porte pas bonheur. Mais ce ne sont là, peut-on dire, que des incidens sans importance, et ce qu’il y a eu de plus grave s’est passé dans le sénat, qui ne fait pas et ne défait pas les ministères. Soit! le gouvernement du moins se sent-il plus fort et mieux assuré dans ses rapports avec l’autre chambre, avec la majorité républicaine? peut-il compter sur l’appui décisif, invariable, des partis ou des groupes qu’il a cru désarmer par les décrets du 29 mars, par sa campagne contre les influences cléricales? On ne le dirait pas, vraiment, à voir les menaces d’orages eu de conflits qui commencent à poindre un peu de toutes parts. Les concessions ne suppriment pas les difficultés. M. le garde des sceaux a beau se compromettre pour satisfaire les passions anticléricales, il n’est pas pour cela plus heureux dans ses efforts auprès de la commission de la loi sur la réorganisation judiciaire : il n’a pu réussir jusqu’ici à sauver l’inamovibilité de la magistrature. M. le ministre de l’intérieur ne ménage sûrement pas les gages d’orthodoxie, il a signé avec M. le garde des sceaux les décrets du 29 mars : la commission de la loi sur le droit de réunion ne lui refuse pas moins un article qu’il réclamait, auquel il tenait. M. le ministre de l’instruction publique a beau avoir inventé l’article 7 et aller à Lille élever une «citadelle » contre le cléricalisme, la commission de la loi sur l’enseignement primaire, à la tête de laquelle est M. Paul Bert, ne le laisse pas respirer, elle ne lui permet pas la temporisation. Il faut qu’il marche, il faut qu’il accepte, avec l’obligation et la gratuité de l’instruction primaire dont il voudrait se contenter pour le moment, la grande réforme à laquelle la commission tient avant tout, la « laïcité, » c’est-à-dire l’exclusion de tout enseignement religieux des écoles primaires. Le conflit est ouvert! Il en est un peu ainsi de toutes les affaires engagées aujourd’hui.

Il ne faut rien grossir sans doute ; il faut bien se dire que de tous ces