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éprouva, l’ardente dévotion dont il fut pénétré, lui parurent quelque chose de surnaturel. Il se sentit tout changé. Les miracles qu’il crut voir l’émerveillèrent. Ce qu’il y avait d’égaré et de touchant dans l’état de la jeune fille parla vivement à ses sens. Christine fut pour lui bienveillante et familière. Elle l’appela par son nom, le prit tout d’abord pour son frère spirituel, l’admit aux confidences les plus délicates, lui permit de lui rendre les services les plus intimes. Il passa toute la nuit auprès d’elle. La pitié qu’il éprouva en voyant couler son sang et naître ses plaies redoubla son amour. Il la soutenait en lui citant les exemples des saints. À deux reprises, la patiente porta la main sous ses vêtemens et en retira un clou sanglant portant des lambeaux de sa chair. Elle donna au jeune moine l’un des clous, tout chaud encore de la chaleur de son sein. Pierre le garda comme une relique, dont ne se détachèrent plus ni ses yeux ni son cœur. O felix nox, s’écria-t-il, o beata nox !……….. O dulcis et delectabilis nox, in qua mihi primum est degustare dation quam suavis est Dominus !

Rendu à son couvent de Cologne, Pierre ne fit que rêver de ce qu’il avait vu à Stommeln. Il maudissait la nuit qu’il y avait passée de s’appeler nox, mot de chétif augure, co quod oculis noceat ; c’est jour qu’elle aurait dû s’appeler. De même que la Vierge conçut le Fils de Dieu dans la nuit, lui aussi conçut Dieu dans cette nuit. Il passa les fêtes de Noël qui suivirent dans une sorte d’extase. Son âme s’était tellement attachée à la pensée de la touchante martyre, qu’il ne pouvait plus penser à Dieu sans penser à elle. Ses lectures de l’Écriture sainte ne servaient qu’à lui fournir des textes en rapport avec sa passion : Nox illuminatio mea in deliciis meis…. Dies quam fecit Dominus, exultemus et lœtemur in ea,

Naturellement Pierre chercha toutes les occasions de retrouver l’amie spirituelle qui l’avait blessé au cœur. Ces occasions furent assez fréquentes. Les dominicains de Cologne venaient souvent visiter le village de Stommeln, qui était en quelque sorte dans leur clientèle religieuse. Pierre ne manquait jamais une de ces visites. Le 24 février 1268, il revit la personne qui avait fait sur lui une si profonde impression. Cette fois, elle était dans un de ses momens de calme. Le curé l’invita à dîner. Christine, en dehors de ses heures d’épreuve, paraît avoir été une jeune fille fort attachante, simple, souriante, aimable, innocente, pleine de grâce en ses mouvemens. Son vêtement religieux, composé d’un grand voile qui la drapait de la tête aux pieds, lui donnait beaucoup de charme. Le pauvre Pierre fut plus ravi que jamais, et son enthousiasme lui inspira une pièce de vers qui est sûrement une des plus bizarres compositions qu’on puisse citer. L’auteur se crut obligé de la commenter