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moins de chances de succès dans des examens où la géométrie et l’algèbre ont presque seules voix au chapitre ; pour mieux réussir, les congrégations instruisent les élèves comme les oiseaux en cage, en les serinant. Si les programmes d’examen sont pour les familles une garantie nécessaire de l’impartialité des juges et de l’égalité des candidats devant leur jugement, ils ne sont pas pour l’état une garantie suffisante d’une instruction sérieuse et dirigée conformément à ses propres principes; car des éducateurs sans conscience peuvent facilement changer les examens, surtout ceux du baccalauréat, en une simple affaire de mémoire et de préparation hâtive, où le fond sera sacrifié à l’apparence, l’instruction tout entière aux programmes, l’arbre au fruit ou à la fleur. On sait ce qu’il faut penser de tous ces établissemens appelés par les élèves eux-mêmes, dans l’argot des écoliers, des « boutiques. » L’état délivre les diplômes d’avocat, de médecin, de professeur, d’ingénieur; il a sous sa direction l’École normale, l’École polytechnique, l’Ecole de Saint-Cyr, qui sont appelées à exercer une influence salutaire ou nuisible sur les destinées de la nation entière. Comment donc ne réclamerait-il pas, pour des carrières demandant des aptitudes spéciales et une garantie spéciale du gouvernement, les preuves d’une instruction régulière et conforme à l’esprit national[1]?

L’Université est fondée tout exprès pour maintenir le niveau intellectuel des études et l’esprit civique des élèves: elle s’est, jusqu’ici, admirablement acquittée de cette tâche ; si on veut qu’elle la continue malgré toutes les concurrences sérieuses, qu’on lui permette en échange de se montrer sévère, non-seulement pour la collation des grades, mais encore pour les conditions préalables d’admission à certains examens spéciaux. Dans la discussion du sénat relative aux collèges des jésuites, M. Jules Simon a cité et approuvé le mot de Henri IV : « Faites mieux qu’eux, et vous aurez plus d’élèves. » A nos yeux, c’est exactement le contraire de la vérité. Un ancien ministre de l’instruction publique a parfaitement réfuté d’avance cette théorie dans la page suivante:

« On dit que la concurrence est une bonne chose, qu’elle est un aiguillon pour chacun des concurrens, qu’elle les oblige à mieux

  1. Aussi approuvons-nous le projet d’exiger des candidats aux écoles du gouvernement, aux écoles de médecine et aux écoles de droit, deux années de présence effective aux cours des lycées, en rhétorique et en philosophie. On exige déjà, avec raison, un certificat d’études pour les candidats à l’École normale, pourquoi ne pas étendre la même règle aux autres écoles? C’est le minimum de garanties que l’état a le droit de demander aux élèves qui sollicitent ses places ou ses diplômes spéciaux. C’est aussi un moyen parfaitement légal et légitime de contrebalancer l’influence anticivique de certains systèmes d’enseignement, où on prend pour but d’envahir peu à peu les carrières libérales par une simple course au clocher, au détriment de l’instruction lente et sérieuse.