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la plus petite faute de sa part, lui ont fait de ce qu’il a eu de plus proche, de ce qui devoit être le plus cher : sa mère, son frère et sa femme vingt ans stérile, ses ennemis les plus acharnés et les plus dangereux. Enfin cette humilité si vraie et si unique dans un grand roi et ce détachement de soy-même d’autant plus héroïque qu’il fut toujours égal et parfait, qu’il extirpa tout éloge, qu’il les vit d’un œil serein et tranquille pleuvoir à verse sur Richelieu dans tous les temps. » (P. 160.)

Saint-Simon retrace ensuite à grands traits ce qu’il appelle lui-même un « crayon du dedans et du dehors. » Il nous montre les troubles intérieurs, la puissance politique des huguenots, les restes mal éteints de la ligue, les grands seigneurs sans cesse à l’affût d’un embarras, à chaque éclat, enfin « tout se partialisant à la cour et jusque dans les provinces, sans que personne pût demeurer neutre, et l’impuissance de l’autorité royale se voyant enfin à découvert. » Au delà des frontières, les difficultés n’étaient pas moindres : il fallait contrebalancer la prépondérance de la maison d’Autriche en Allemagne, sans rompre l’équilibre au profit des princes protestans, la surveiller en Italie et se montrer vigilant partout au dehors avec les forces affaiblies d’un royaume que les factions s’apprêtaient à déchirer.

« Telle étoit, continue l’auteur, la situation de l’Europe et celle de la France dans son intérieur quand Richelieu fut déclaré premier ministre... Il faut donc convenir que, si jamais un premier ministre a esté nécessaire, ce fut alors pour un roy de vingt-trois ans qui en avoit passé seize pour ainsi dire dans un cachot, tenu dans la plus profonde ignorance et solitude et les quatre années suivantes avec les besicles que Luynes lui avoit attachées. Deux ans et demi pouvoient-ils l’avoir instruit des personnes, des affaires, du gouvernement du dedans et du dehors parmy les trop justes défiances de ce qu’il avoit de plus proche et dans la complication d’affaires domestiques et étrangères si importantes et si difficiles à manier? On est donc réduit pour peu qu’on veuille écouter la raison à convenir de la nécessité d’un premier ministre qui peut suppléer à ce que Louis XIII n’avoit pu acquérir. De cette conséquence certaine, il en résulte une autre qui ne l’est pas moins. C’est qu’on ne peut refuser la plus grande admiration à un roi de cet âge qui ne fait que commencer à gouster la liberté, l’autorité, le pouvoir souverain, qui, par ce qu’il a fait à la guerre, même dans les affaires, a tout lieu d’estre content de soy et touttefois qui est supérieur à cette yvresse si naturelle d’opinion de soy-même, qui conserve assez de sens, de jugement, de raisonnement pour sentir le besoin d’un tel secours, enfin qui a sur soy le pouvoir de se le donner par l’extrême envie de bien faire, et, pour le choix, de souffrir que