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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/401

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« Quant aux têtes coupées, que leur sang retombe sur la reine et sur Gaston. » Dur aux coupables, doux à son peuple, fidèle à son ministre, voilà Louis XIII, tel que le peint Saint-Simon. Qui peut se plaindre, étant donné le but de l’auteur, de l’infidélité du portrait ?


III. — LOUIS XIV.

Le duc de Saint-Simon venait de juger Louis XIV en des pages incomparables que son génie avait disséminées dans la première moitié de ses Mémoires; lorsqu’il reprit la plume pour écrire le Parallèle, il avait à se défendre également des contradictions et du plagiat envers lui-même. Ses convictions étaient trop réfléchies pour que ses jugemens fussent variables; son imagination trop féconde pour que ses récits fussent identiques. De là est sorti un dernier portrait n’altérant en rien l’unité de la ressemblance, mais avec des nuances nouvelles et certaines touches qui accusent les reliefs et complètent la physionomie.

Dès l’enfance de Louis XIV, l’auteur rencontre un des personnages que poursuit sa passion la plus injuste. Il ne peut écrire le nom de Mazarin sans y ajouter un jugement inspiré de l’esprit de la fronde qui animait, à cent ans de distance, le grand seigneur du XVIIIe siècle. « S’il eut, dit-il, une mère plus douce, plus tendre, plus mesurée que Marie de Médicis, Louis XIV eut le malheur de tomber avec elle et avec l’état entre les mains d’un obscur Italien dont l’unique intérêt brouilla tout, perpétua la guerre et mit par deux fois le royaume à deux doigts de sa perte. » (P. 12.) Mazarin donna au jeune roi un gouverneur «qui l’étouffa dans la même ignorance que son père. Il a raconté quelquefois avec une sorte d’amertume qu’il estoit abandonné au point qu’on le trouva une fois tombé dans le bassin du Palais-Royal, où il estoit allé seul. » (P. 13.) Néanmoins l’éducation du fils fut moins funeste que celle du père: « Louis XIII avoit été abattu; Louis XIV ne fut que retenu. » (P. 16.) « Les parlemens, les ligues firent sentir de bonne heure au roi les épines de la royauté. » (P. 13.) « Devpnu grand parmi ces agitations continuelles, il n’estoit pas possible qu’il n’en entendît pas parler souvent et que ce qu’il en entendoit ne le formast un peu, malgré les soins de la reine sa mère et toutes les précautions de Mazarin. » (P. 16.)

Enfin, le cardinal disparaît, Louis XIV règne. Saint-Simon nous donne du jeune prince sur qui étaient attachés tous les yeux et toutes les espérances un portrait qui mérite d’être rapporté : « Les grandes qualités du roi, dit-il, brillèrent d’autant plus qu’un extérieur incomparable et unique donnoit un prix infini aux moindres choses : une taille de héros, toute sa figure si naturellement imprégnée