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pas échappé dix fois en toute sa vie et encore avec des gens de peu et pas quatre ou cinq fois fortement. » (P. 98.)

Ce portrait de Louis XIV n’est-il pas un des plus vivans et pouvons-nous mettre en doute une seule des louanges quand elles sortent de la bouche du duc de Saint-Simon?

Ailleurs, l’auteur du Parallèle jette un coup d’œil d’ensemble sur la famille royale, sur la situation générale de la cour et du royaume dans leurs rapports avec le roi. « Jamais prince, dit-il, ne fut plus complètement heureux. — Je parle depuis la mort de Mazarin jusqu’à celle du dauphin dont les hommes n’estoient pas dignes, ce qui comprend plus de cinquante ans. » (P. 24.) « D’où lui pouvoient venir les difficultés? Quels obstacles auroit rencontrés sa puissance? Ce qui restoit de considérable à la cour n’étoit plus en état de remuer et n’en estoit plus que l’ornement. » (P. 228.) « Des princes du sang asservis sous le même joug qui se disputoient entre eux de servitude, une cour abattue sous le poids de sa crainte, de son autorité, jusque du moindre de ses regards, dont les plus grands avoient perdu jusqu’au souvenir du personnage qu’avoient rempli leurs pères, et un royaume monté tout entier au ton de l’obéissance aveugle; en un mot, tout devenu peuple et vil peuple devant lui, et sans bouche ni action que pour s’épuiser en respects peu différens de l’adoration, en soumission synonime de l’esclavage, en louanges les plus semblables à l’apothéose; tout sans exception rampant devant ses bastards et ses valets principaux, ses ministres, les intendans et les financiers de la dernière espèce. Avec tant de bonheur, la plus égale et la plus parfaite santé et pendant longtemps les plus grands capitaines, les plus capables ministres au dedans et au dehors, la plus grande abondance et le règne le plus brillant, le plus autorisé, le plus glorieux au dehors et toujours au dedans le plus profondément tranquille. » (P. 26.)

Dans le rapprochement de ces deux pages qui forment un si frappant contraste entre ce que valait le roi et l’action qu’il exerça, nous saisissons le fond même de la pensée de Saint-Simon. On a eu raison de signaler sa passion à l’égard de Louis XIV; mais elle ne l’aveuglait pas sur les rares qualités du prince. A maintes reprises, on rencontre un mot, une réflexion qui prouve la liberté d’esprit du peintre. Nous ne sommes pas en face d’une sorte de pamphlet, comme le soutiennent ceux qui condamnent à la légère Saint-Simon, mais d’un jugement longuement médité, assis sur les observations de toute une vie et qui s’étend sur l’ensemble du règne pour en tirer une grande expérience, en n’en cachant aucune faiblesse.

Tout d’abord, il s’occupe de Louis XIV, en 1661, à la mort du cardinal. « Le roi a souvent avoué, dit-il, que jusqu’alors il n’avoit