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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/411

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et chercher à se modérer. « Ce n’est pas sans effroi, dit-il, que j’entre dans cette carrière. Il s’agit d’un monarque dans la cour duquel j’ai pas sémes plus belles et mes plus nombreuses années dans l’habitude du plus religieux respect, qui souvent a fait naître et nourri en moi l’admiration la plus fondée, d’un prince qui a été plus maître qu’aucun roy dont on puisse se souvenir, même par la lecture, qui l’a été longtemps au dehors, presqu’autant qu’au dedans, et dont la terreur dure encore par la longue impression qu’elle a faite. Il est vray que plus il a été puissant, grand, absolu, arbitre longtems de l’Europe, plus aussi il a été homme et payé plus chèrement tribut à l’humanité. » (P. 83.) Après avoir rappelé « sa jeunesse passée à l’abri des embûches » (p. 102), son mariage et ses premiers temps de fidélité, Saint-Simon compare le grand-père et le petit-fils : « Henri IV eut deux épouses qu’il put regarder comme deux ennemies. Louis XIV au contraire avait une épouse qui avoit de la beauté, qui ne vécut jamais que pour luy, avec la douceur, la complaisance, la vertu la plus parfaite, et qui, pour l’amour de luy avoit oublié sa maison, sa patrie, et étoit devenue aussi passionnée Françoise que les plus naturels François. » (P. 103.) « Louis XIV n’a donc rien eu des excuses et des tentations d’Henri IV. » (P. 102.)

Puis il passe en revue chacun des entraînemens du roi ; s’il réserve quelque indulgence pour la personne de Mlle de La Vallière, il s’exprime au sujet de Mme de Soubise, de Mme de Montespan et du roi avec la dernière sévérité : « Deux maîtresses, dit-il, publiquement aimées en même temps et publiquement montrées telles, c’est l’inouy sérail devant lequel Louis XIV tint sa cour prosternée pendant plusieurs années, en présence de la reine, » à laquelle il n’avait rien à reprocher. Jamais, avant Louis XIV, on n’avait légitimé les enfans nés d’un double adultère ; c’était un « fait sans précédent, même en Espagne, où un reste de mœurs mauresques a rendu les lois si indulgentes aux bâtards, si fort au delà de celles de tous les pays chrétiens ; ce qui n’étoit donc pas dans l’estre fut produit par la corruption de la cour et l’adresse de l’esprit. » (P. 110.) Harlay étoit lors procureur général, et depuis premier président, cynique austère, mascarade de sénateur des plus heureux temps, dont l’ambition étoit sans bornes et qui jamais ne connut rien capable de l’arrêter ; le célèbre magistrat n’osa présenter de front de quoi effrayer le parlement qui n’étoit pas mort encore. Il s’avisa de le surprendre et il y réussit. Le chevalier de Longueville étoit fils du comte de Saint-Paul tué sans alliance au passage du Rhin, et d’une mère vivante qui avoit son mari quand elle eut ce fils. Ce mari vivoit encore et tous deux de haut parage ! L’amour passé et repentant