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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/530

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hautes vertus ; il a de plus un sentiment qui tient à votre personne ; je ne pouvois me représenter cette maigreur, cette perte de votre embonpoint d’albâtre sans pleurer de desespoir ; ce n’est donc pas votre âme seule que j’aime ; vous serés assez généreuse pour me pardonner cet aveu, j’en ai pour garand les vœux que vous avez la bonté de faire pour la conservation de mon triste corps.

Montbard, ce 1er octobre 1781.


Je reprends pour vous dire après avoir relu et baisé vos lettres que comme vous avez trop de vertu, vous avez aussi trop d’esprit. Que d’ingénieuses images, quelle tournure charmante dans votre dernière lettre et sur des choses désagréables quel vernis de beauté ! quel fond de bonté ! que je vous dois donc aimer ; mais aussi combien donc je vous aime ! chaque jour je vous vois plus aimable et tous les jours également spirituelle et sensible, les miens vous sont consacrés, et tous ensemble ne m’acquiteront pas de ce que je dois à la tendresse de ma divine amie. C’est en le luy protestant que j’ose l’embrasser.


Mme Necker, comme on peut le penser, n’était point insensible à l’expression des sentimens de Buffon. Ce qui brillait d’un certain éclat littéraire avait toujours eu beaucoup de prestige à ses yeux. Mais qu’étaient-ce que les hommages d’un Marmontel, d’un Grimm, d’un Diderot, auprès de ceux d’un homme avec lequel Voltaire acceptait sans trop de mauvaise grâce de partager « le temple de Mémoire, » suivant un vers célèbre de Lebrun :


Partage avec Buffon le temple de Mémoire.


Le culte public que Buffon rendait à Mme Necker l’enveloppait en quelque sorte dans cette gloire :


Ô de Buffon illustre et digne amie,
Vous dont il m’a vante l’âme et les agrémens,


lui disait le même Lebrun (qui était bien le poète qu’il fallait à tous deux), et elle devait singulièrement jouir de voir ainsi leurs deux noms associés. Aussi donnait-elle à Buffon une large place dans ses préoccupations et dans sa vie. Ce nom illustre revient à chaque page des cinq volumes de Pensées et Mélanges qui après la mort de Mme Necker ont été extraits de ses journaux intimes. On voit que la pensée de Buffon était toujours présente à son imagination et qu’il était à ses yeux la plus haute expression de l’humanité. « M. de Buffon, disait-elle, est inimitable en tout, et cependant